Maillots et équipements
Football et art moderne : une histoire d’amour qui roule

L’Art moderne est resté longtemps en périphérie de l’univers football. En rupture avec la vision conformiste des sobres tenues maillot-short-bas, le football s’est ensuite ouvert aux influences de l’Art contemporain vers la fin des années 80. Dans une explosion graphique et colorée plus que jamais vivace aujourd’hui…
Dans le domaine pictural, Nicolas de Staël avait bien peint une série de tableaux, mi-figuratif et mi-abstrait, Les Footballeurs (en 1952). Mais ce sont plutôt les affiches officielles de Coupes du monde (notamment celles de 1930, 1954, 1970, 1998, 2018) qui avaient épousé l’évolution graphique de l’Art contemporain. Certains trophées sont eux aussi passés de l’Ancien au Nouveau à partir des années 70, avec le remplacement en 1974 de la Coupe Jules Rimet d’inspiration Art Déco à l’actuelle conçue par Silvio Gazzaniga, d’inspiration Art brut. L’architecture moderne a aussi peu à peu investi les stades en y projetant des courbes futuristes comme le Parc des Princes (1972) ou en imaginant des formes insensées, tel le Schlauchboot (le « canot pneumatique») de l’Allianz Arena du Bayern de Munich.
Les amateurs d’Art contemporain connus du monde du football sont rares, tels Fabio Capello, connaisseur averti et collectionneur avisé d’art contemporain, ou Eric Cantona, peintre non dénué de sensibilité (surnommé Picasso dans Les Guignols de Canal). Et puis il y a eu des interactions involontaires ou inconscientes : certaines teintes du maillot de Chelsea rappellent le bleu Klein, le maillot des Pays-Bas convoque l’orangé profond Rothko, certaines tuniques away ou third des ténèbres striées flirtent avec l’outre-noir Soulages et le noir-et-blanc de la Juventus cousine avec les colonnes de Buren… Pour beaucoup d’amateurs de football et d’art comme l’Anglais Neal Heard, commissaire de l’expo londonienne The Art of the Football Shirt (2017), le rapprochement déterminant de ces deux univers s’est produit lors de l’Euro 1988, « avec les maillots des Pays-Bas et de la RFA aux motifs audacieux et en blocs », avançait-il dans The Guardian. Et le Mondiale italien de 1990 avait poursuivi cette tendance arty. Un mix d’Art contemporain et de street art a progressivement modernisé le design des nouveaux maillots (motifs, couleurs, coupe), rompant avec la sobriété d’antan, du genre : maillot uni ou bicolore rayé avec écusson du club ! En dynamiteur N°1 de ce conformisme, le légendaire gardien mexicain des années 90, Jorge Campos, aux tenues hyper bigarrées : « J’adorai dessiner mes propres maillots, même si je le faisais mal. Les attaquants étaient obligés de porter des lunettes de soleil pour m’affronter. » Fluo, flashy, avec parfois des motifs aztèques, son design rappelle le style de Frank Stella, peintre américain, précurseur du minimalisme et de l’op art.
De 1995 à 1997, Nottingham Forest avait décoré son maillot extérieur d’arabesques bigarrées à la Jackson Pollock et pour son maillot extérieur 2022, Tottenham Hotspur avait revendiqué l’emprunt au style de ce même peintre américain ! Le tournant créatif qui a touché les maillots à la fin des années 80 s’est étendu dans les années 90 aux paires de crampons avec l’abandon progressif des chaussures noires « classiques » au profit des modèles colorés, en teinte unie d’abord (bleu, rouge, vert) puis bicolores, fluo, mouchetées… En 1998, Adidas avait lancé les mythiques Predator Accelerator tricolores (blanc-noir-rouge) chaussées notamment par Zidane. Véritable objet d’art à la sculpture aérodynamique futuriste pas mal inspirée de l’univers Marvels, elles annonçaient, pour les accessoires du football, les bouleversements plastiques du nouveau siècle à venir !
Passons rapidement sur les logos de clubs modernisés au tracé informatique à l’épure inspirée d’art minimaliste (Ajax, Juventus, FC Nantes) et sur les ballons, notamment les nouveautés Adidas révolutionnaires en gris argenté des Euro 2004 (le Roteiro) ou de l’Euro 2008 (l’Europass), pour rester aux rayons maillots et crampons. Dans l’hyper créativité artistique contemporaine boostée par un merchandising multiplicateur (maillots domicile, extérieur et third), on peut retenir le maillot Ketchup Bilbao 2004-2005 conçu par l’artiste-peintre basque Dario Urzay pour le centenaire de l’Athletic Bilbao. Avec un clin d’œil au Musée d’art contemporain Guggenheim de Bilbao ouvert en 1997. Le maillot Adidas third de Manchester United 2020-2021 aux motifs géométriques noir et blanc (proche du style Victor Vasarely) qui, en horrifiant L’Equipe (« le pire maillot de la saison pour Manchester United ? »), avait nourri les éternels débats critiques et esthétiques qui sont l’essence même de l’Art Contemporain… Au rayon crampons, citons la paire Nike Phantom GT2 Elite chaussée par Jack Grealish, avec sa géométrie colorée et tracé noir à la Piet Mondrian, la Puma Evopower 1.2 Pop FG chaussée en 2015 par O. Giroud ou C. Fabregas, inspirée du Pop Art à la Roy Lichtenstein ou enfin la Predator Edge Geometric+ FG Multicolor d’Adidas au camaïeu kaléidoscopique qui rappelle, parmi d’autres styles, celui de l’Américain Ellsworth Kelly, apparenté au courant Color Field paintings.
L’univers du football, coloré, héroïque et en mouvement a bien entendu été source d’inspiration infinie dans l’Art contemporain (tableaux, sculptures, graffitis). Exemple entre mille : à la question « les maillots de foot peuvent-ils être une œuvre d’art ? », l’artiste germano-namibien Max Siedentopf avait répondu par l’affirmative en reproduisant en acryliques sur toiles, dans l’approche Color Field paintings, les maillots iconiques des grands clubs comme le Bayern Munich, Inter, Chelsea ou Barcelone rassemblées dans l’ouvrage d’art Paintings League en 2022. Toujours cette même fascination pour les maillots, objets d’Art populaire authentique ! « Si vous, moi, ou les passants, regardions ces maillots, nous retrouverions les mêmes souvenirs. C’est quelque chose qui nous unit, comme un langage universel », philosophait avec raison ce cher Neal Heard. centre qui joue sur l’espace négatif (comme le grand C dans le logo des magasins Carrefour). Effet d’illusion optique et épure très fréquents dans l’Art Moderne.
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