Interview - Collection de maillots
L’homme qui possédait 750 maillots du SC Bastia

Détenteur de plus de 750 maillots du Sporting Club Bastia, Jacky Santucci cache une collection unique qui retrace l’histoire du club corse. Avec une seule règle : ne rassembler que des tuniques qui ont été portées par des joueurs en match officiel… quitte à échanger des tenues à 10 000 euros pour les acquérir.
750 maillots du même club… Ça commence à faire beaucoup, non ?
Et encore, cette collection est loin d’être terminée. Chaque saison, elle gonfle. Parce que mon objectif, finalement, c’est d’avoir un exemplaire de chaque modèle de maillot porté au moins une fois en match officiel depuis 1966. Et maintenant, il y a plus de compétitions qu’avant, des maillots qui sortent pour des occasions particulières, les modèles Thirds…
Mais c’est une quête vaine, interminable par définition !
Oui, je le sais bien ! Peut-être que mon fils prendra la suite, ou peut-être que cette collection terminera dans un musée… En attendant, je n’ai que 51 ans donc je continue. Ces dernières années, c’est forcément plus facile de trouver les maillots par rapport aux époques plus anciennes. Donc j’ai quelques saisons complètes, déjà.
D’où te vient cette passion ?
En fait, je crois que ça ne s’explique pas. Oui, j’ai toujours été fan de football et j’ai toujours apprécié les maillots. Mais jamais je n’aurais pensé en arriver là… J’ai commencé à acquérir des maillots quand j’étais jeune, de n’importe quel club : Liverpool, Real Madrid, Milan AC, équipe de France… Puis je me suis dit que ça n’avait pas vraiment de sens, pas vraiment d’orientation. Je suis né en Corse et je vais voir les matchs de Bastia depuis petit, donc c’est assez naturellement que je me suis spécialisé dans les maillots du Sporting vers 1998.
Tes proches comprennent cet intérêt assez dingue pour les maillots ?
Oh, pas tous ! Ma femme n’a jamais vraiment compris, par exemple, mais elle me soutient en quelques sortes. On ne va pas se mentir, hein : nous, les collectionneurs, nous sommes tous pareils… Un peu obsessionnels compulsifs ! Personnellement, je note tout dans ce que j’appelle ma “Bible”, notamment pour essayer de retrouver qui a porté quel maillot par le passé : date des matchs, effectif, couleur et modèle de la tenue, sponsors… Au-delà du coût que ça peut avoir, c’est également très chronophage. Quand je ne travaille pas pour le restaurant que je tiens, je passe mon temps à fouiller les archives INA. Avec un copain historien, je cherche à connaître exactement tous les matchs qui se sont joués depuis 1965. Depuis 1985, je sais à peu près.
Le budget, justement, parlons-en…
Ah, bah je viens juste d’exploser ma limite habituelle pour le dernier maillot que je viens de rentrer !
Combien ?
3 000 ! Normalement, je ne dépasse jamais 1 500 ou 1 700 euros. Mais là, depuis le temps que je le cherchais, celui-là… Il s’agit d’un maillot de match de Coupe des coupes en Géorgie contre le Dinamo Tbilissi, en 1981. Il a une histoire complètement improbable puisque, devant 100 000 personnes, le Sporting a joué avec les couleurs… du CA Bastia, le club rival ! Ça avait fait un peu polémique, certains dirigeants ne voulaient pas que les joueurs portent ce maillot-là. Comme l’adversaire évoluait en bleu, ils avaient joué en blanc… Bref, 3 000 euros rien que pour ce maillot. J’ai dépensé beaucoup d’argent dans tout ça, c’est certain. Jusque-là, j’ai eu la chance de toujours pouvoir me le permettre.
Où achètes-tu tes maillots et comment fais-tu pour être sûr de leur authenticité ?
Soit je me les procure par mon entourage qui a trouvé par hasard une pépite ou un maillot que je n’ai pas encore, soit sur Internet. Il arrive également qu’on me contacte directement pour me proposer une vente, mon Instagram est d’ailleurs ouvert à tous ! Lorsque je ne suis pas certain qu’un joueur l’a bien porté en match officiel, je demande un tas de photos et je vérifie certains détails. Le flocage, l’aération, les traces de sueur ou de terre, les écrits, l’emplacement et la façon exacte dont sont collés les sponsors… Il y a plein de choses qui permettent d’éviter de se faire avoir par des maillots de boutique ou des contrefaçons qui se font passer pour des maillots réellement portés, il existe toujours un petit truc qui permet de distinguer le vrai du faux. D’ailleurs, beaucoup de gens m’appellent quand ils ont un doute. Par exemple, prends un maillot de Zinédine Zidane : tu peux très bien regarder la vidéo de son match, t’apercevoir qu’il a glissé sur un coup franc et chercher la trace de terre sur son maillot. Si tu la trouves, bingo !
Présente-nous ton maillot préféré.
Il y a celui de Claude Papi, ceux de l’épopée en Coupe UEFA en 1977-1978… Mais je pense que mon préféré, parce qu’il a vraiment une histoire sentimentale et personnelle très forte, c’est celui porté lors de la toute première rencontre disputée au stade Armand Cesari après la catastrophe de Furiani : un maillot noir en hommage aux victimes, sorti le 4 avril 1993 contre Nancy. Évidemment, il signifie beaucoup pour tous les Corses. Moi-même, j’étais en tribunes à côté de celle des journalistes lors de la catastrophe. Je suis tombé et cinq ans plus tard, j’ai dû être opéré du dos. Une broutille par rapport aux autres blessures et aux décès, bien sûr. En plus, je l’ai récupéré au bout d’une aventure folle ! À l’époque, vers le début des années 2000, je parvenais souvent à récupérer des maillots du Milan AC pour m’en servir comme monnaie d’échange. Puis un jour, je contacte un gars qui faisait partie d’un club de supporters de Milan basé en Corse pour savoir s’il avait à tout hasard des maillots de Bastia en lui précisant que j’avais en ma possession des maillots de Milan. Le type regarde dans sa penderie, et me répond qu’il en a un noir. Sur le coup, je me dis qu’il va me ressortir le noir avec le sponsor Nouvelles Frontières, un maillot avec lequel le Sporting n’a jamais joué. Je lui demande donc ce qu’il y a devant, il me sort le sponsor RCI. Putain… Là, j’ai immédiatement bloqué ! Il n’a même pas eu le temps de finir, je lui ai demandé s’il y avait bien le sponsor Timy Supermarché au dos avec le numéro 7 et il m’a confirmé. Le lendemain, je suis descendu voir la personne pour le récupérer. Je l’ai échangé contre un maillot d’Andreï Chevtchenko, un maillot or magnifique porté en Ligue des champions. Le gars n’a pas compris pourquoi je lui cédais celui-là contre un du Sporting, il n’en croyait pas ses yeux ! Il est reparti, il était aux anges. Et moi, je planais tout seul dans ma voiture.
Comment tu faisais pour récupérer des maillots si rares quand Internet n’était pas encore la caverne d’Ali Baba d’aujourd’hui ?
Il n’y avait pas vraiment de secret, on demandait un peu à tout le monde. Une fois, j’ai eu accès à un lot de manière incroyable : pendant l’Euro 2000 aux Pays-Bas, j’avais une connaissance qui était traducteur là-bas et qui avait monté une équipe de potes pour voler les sacs des joueurs italiens dans leur bus… Entre les survêtements de l’Italie, il y avait aussi des maillots des adversaires. Dont la France, la Hollande et la Roumanie. C’est comme ça que j’ai obtenu le maillot de Christophe Dugarry qui avait encore des tâches de sang, celui de Youri Djorkaeff que j’ai également échangé plus tard contre trois maillots de Bastia et qui vaut aujourd’hui dans les 10 000 euros, celui d’Edwin van der Sar qu’ils avaient affronté en demi-finales, celui de Cristian Chivu qui évoluait à l’Inter… On avait fait une véritable razzia, des collectionneurs italiens m’avaient même appelé pour savoir si c’était vraiment nous qui avions fait le coup ! Trouver un maillot, finalement, c’est un mélange d’obstination et de chance.
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