Dans les années 80, les Corinthians sont devenus le premier club à instaurer un mode de fonctionnement révolutionnaire basé sur l’autogestion. Cette "Démocratie corinthiane" s'est d'ailleurs affichée sur les maillots du club.

Chérif Ghemmour

Le Sport Club Corinthians Paulista est l’un des plus grands clubs brésiliens. Surnommé « l’équipe du peuple », le club de São Paulo a connu une véritable révolution des les années 80, qui allait le métamorphoser. Il faut remonter à 1981. Cette année là, les Corinthians terminent à la 26ème place du championnat national brésilien (sur 44 équipes), un classement peu glorieux pour un club de cette trempe.

Place au changement : le mandat du folklorique président Vicente Matheus se termine en avril 1982, et ce dernier est remplacé par un certain Waldemar Pires. Pires nomme au poste de directeur sportif un jeune sociologue de 35 ans, Adílson Monteiro Alves, opposant dans sa jeunesse à la dictature militaire toujours au pouvoir depuis 1964. Ce dernier introduit au sein du club un jeune publicitaire de 30 ans, Washington Olivetto, comme vice-président du marketing.

Idéalistes, Adílson et Olivetto vont chambouler la vie du Timão, de concert avec les trois joueurs les plus politisés de l’effectif : le défenseur Wladimir, l’attaquant Casagrande et le génial meneur de jeu, Sócrates, capitaine de la Seleção au Mundial 82, poète et médecin !

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Socrates – 10.03.1982 – Reportage Bresil
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Un club basé sur l’autogestion

Le président Pirès laisse son « Club des 5 » instaurer un mode de fonctionnement révolutionnaire et demeuré unique dans le football, car basé sur l’autogestion. En opposition absolue aux traditionnels présidents de clubs exploiteurs mais aussi comme un défi à la junte militaire au pouvoir, Adílson rend « le football aux footballeurs » : après un débat démocratique, chaque décision de la vie sportive est soumise à un vote collectif (un homme, une voix) !

Les joueurs votent, entre autres motions, la fin des mises au vert et ils éliront même leur entraîneur, Zé Maria, champion du monde 1970. Le génial Washington Olivetto officialise le concept Democracia Corinthiana : c’est un mouvement plus citoyen que politique véhiculé par une équipe qui va rapidement revenir sur le devant de la scène. Olivetto innove littéralement en transformant le banal maillot de football en manifeste politique.

Corinthians : Le club qui a affiché la Démocratie sur ses maillots

En novembre 1982, d’abord, pour la première élection libre depuis le coup d’Etat militaire de 1964 au poste de gouverneur de l’Etat de São Paulo, il fait imprimer en haut du dos des maillots des Corinthians le très incitatif « Dia 15 vote » (« le 15 novembre allez voter »). Ce coup de marketing audacieux braque les projecteurs médiatiques sur les Corinthians, le club qui ose défier la junte, s’attirant le soutien de fans plus nombreux, d’artistes et des très actifs syndicalistes de São Paulo, dont leur leader, Lula.

Un tacle symbolique au soutien des Etats-Unis au régime brésilien

Pour la saison 1982-1983, Olivetto conçoit avec ses gars le nouvel habillage du maillot du club. Pour la tunique (blanche à domicile, rayée blanc et noir à l’extérieur), Adílson a gardé sa confiance à la célèbre marque Topper, une société argentine au siège basé à São Paulo, qui équipe le club depuis 1981 et la Seleção depuis 1982. Au dos du maillot, son pote Washington fait imprimer un logo qu’il a lui-même créé avec les deux mots « Democracia Corinthiana« .

« Democracia » en lettres capitales noires barre tout en largeur le haut du dos. Le mot « Corinthiana« , dont le grand C s’incruste dans « Democracia« , s’étire en largeur également mais avec un lettrage rouge qui rappelle à l’évidence la graphie de Coca-Cola. L’espace qui couvre les deux mots « Democracia » et « Corinthiana » est constellé de taches rouges.

Corinthians : Le club qui a affiché la Démocratie sur ses maillots

Selon L’Equipe du 11 juin 2021, ces « taches rouges figurent le sang des opposants qui coule alors dans le pays et le graphisme de ‘Corinthiana’ imite celui de Coca-Cola, un tacle symbolique au soutien de l’Oncle Sam au régime. » Une interprétation probable mais à nuancer : Washington Olivetto avait ainsi affirmé au site d’info brésilien Medium que « le style lyrique utilisé pour la promotion de la démocratie corinthiane voulait mêler des éléments de la génération pop Coca-Cola et des partis politiques contre la dictature ».

Pionnier dans l’utilisation du sponsoring publicitaire

Toutefois, le très réaliste Washington Olivetto – qui a fait breveter le mot Corinthiana comme marque déposée du mouvement – n’oublie pas qu’il doit aussi veiller au développement économique du club, indispensable à la visibilité du mouvement. Et c’est l’autre versant moins connu, libéral celui-ci, du maillot « révolutionnaire » : avec Olivetto, les Corinthians sont parmi les clubs pionniers en 1982-1983 dans l’utilisation du sponsoring publicitaire sur les maillots du football brésilien.

Sur le devant du maillot apparaît ainsi le nom du sponsor de la société Cofap. La camiseta pas si immaculée a donc été utilisée à la fois pour promouvoir la démocratie mais également les amortisseurs d’automobiles de la très capitaliste Cofap.

Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie

Peu importe ! L’imagerie militante des Corinthians se déploie tout de même avec son logo au dos des joueurs, avec l’iconique poing levé de Sócrates à chacun de ses buts ou avec des mots d’ordres qui mobilisent les consciences, tel le Ser campeao é detalhe (« Être champion est un détail ») qui fait priorité à la conscientisation collective plutôt qu’au succès sportif.

Corinthians : Le club qui a affiché la Démocratie sur ses maillots

« Nous exercions notre métier avec plus de liberté et de confiance pour exprimer notre art, racontait feu Sócrates, rapporté par Jérôme Latta dans Les Cahiers du Foot en 2011. Nous étions une grande famille, avec les épouses et les enfants des joueurs. Chaque match se disputait dans un climat de fête. Sur le terrain, on luttait pour la liberté, pour changer le pays.» Et les Corinthians seront à nouveau vainqueurs du Campeonato Paulista 1983, le 14 décembre !

En ce jour de finale glorieuse, face au São Paulo FC (1-1), Socrates et ses coéquipiers transforment le Stade du Morumbi de leurs adversaires en gigantesque agora populaire, en déployant ensemble sur la pelouse une grande banderole Ganhar ou perdermas sempre com democracia (« Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie »).

Walter Casagrande Junior et Juninho brandissent une banderole " gagner ou perdre mais toujours en democratie " -  14.12.1983 - Sao Paulo / Sc Corinthians - Finale du Championnat Paulista 1983 - Photo

Avant son départ à la Fiorentina en 1984, Sócrates s’impliqua dans les manifestations portées par le slogan Diretas-Ya (« Votez directement maintenant ! ») œuvrant à la démocratie universelle pour l’élection du chef de l’État. Ce coup de boutoir populaire contribua à destituer la dictature militaire en 1985, préalable à la première élection présidentielle libre de 1989. C’est donc aussi au dos d’un maillot de football que la démocratie brésilienne avait annoncé son grand retour…

Chérif Ghemmour

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