Pourquoi le FC Sankt Pauli joue en maillot marron ?

Hamburg ist braun-weiss ! Traduction : Hambourg est marron-blanc. C’est le slogan provocateur du Fußball-Club Sankt Pauli, rival de l’autre club de la ville hanséatique, le prestigieux Hambourg SV. Le petit club du quartier nord de Sankt Pauli de la grande cité portuaire allemande et remonté en Bundesliga à l’été 2024, coche toutes les cases du progressisme d’extrême gauche : antiraciste, antifa, pro LGBT+, adepte du Refugees welcome, techno-punk anarchisant avec drapeaux pirates agités au Millerntor-Stadion au son du Hells Bells d’AC/DC d’avant-matchs, le « Kult club » comme il s’est surnommé, a la particularité de jouer avec un kit marron.

Marron : « une couleur neutre, presque ennuyeuse… » 

Le blanc est aussi couleur officielle du club (braun-weiss), mais c’est la dominante marron qui authentifie son identité visuelle. Son écusson circulaire qui reprend les armoiries rouge et blanche (couleurs de Hambourg) affiche « FC St Pauli – 1910 » en gros caractères de ce coloris châtaigne clair. Il en va de même pour les drapeaux et les tifos qui associent au Millerntor les trois tonalités rouge, blanc et marron. Mieux ! Lors de la remontée en Bundesliga, c’est une saisissante marée marron piquetée d’albâtre qui a joyeusement envahi la pelouse, à rebours des déferlements plus habituels rouges, blancs ou bleus un peu partout sur la planète… Car le marron demeure une couleur plutôt rare parmi les clubs de football. On peut citer bien sûr le Club Atlético Platense en Argentine (appelé Marrón) ou le Garbania Cracovie en Pologne. Mais ce coloris ne s’affiche en général que sur le maillot extérieur, tout comme le surprenant maillot away du PSG 2006-2007 d’inspiration Louis Vuitton au coloris chocolat. Des clubs adoptent aussi parfois cette teinte marronnée en maillot third.

Mais comme lors de la saison passée, en marron deux-tons clair et foncé, le maillot domicile du FC Sankt Pauli, lui, décline résolument ses, ou plutôt, sa couleur ! Une singularité puisque le marron et ses teintes dérivées suscitent rarement l’adhésion des clubs ou des sélections : « Peut-être parce que le football est synonyme de passion et que le marron est probablement la couleur la plus éloignée de l’enthousiasme. Une couleur neutre, presque ennuyeuse », souligne Andrea Agostinelli. Le journaliste du très bon site nss-sport.com élude-là avec tact l’aspect évidemment répulsif du marron, analysé habituellement ainsi dans les Guides des couleurs : « Si elle rappelle la présence enveloppante de la nature, la couleur marron revêt pourtant aussi des symboliques négatives : saleté, impureté, parfois même violence, qui expliquent sa présence discrète en communication.» L’aspect « scatologique » habilement écarté, Andrea Agostinelli s’était attelé à rechercher les origines de cette couleur châtaigne. Or, elles demeurent assez mystérieuses… D’après Bernd von Geldern, ancien directeur commercial du club, rapporté par Agostinelli lors d’une interview de février 2023, « l’histoire du choix du marron il y a 100 ans n’est pas claire. Mon hypothèse est qu’il n’existait pas d’autres couleurs, ou que c’était simplement la couleur préférée du premier président. »

Tissu marron : prolétaire et moins cher…

Ni le musée officiel du FCSP, qui ne fournit aucun document de cette époque, ni même le site web officiel du club ne nous éclairent, hormis ce seul passage : « En 1909, Amandus Vierth (le premier président supposé du club, ndlr) a gagné le litige concernant les couleurs de l’équipe, toujours en vigueur aujourd’hui. À partir de ce moment, le marron et le blanc sont devenus les couleurs officielles du club.» Dès les années 1920, le kit du FC Sankt Pauli fondé en 1910 se composait ainsi d’un maillot et de chaussettes marron et d’un short blanc. Par la suite, et notamment dans les années 1980, ce kit a connu pas mal de variations avec une dominante blanche pour le maillot (souvent avec parements marron) et le brun clair pour le short et les chaussettes. Le journaliste mexicain d’El País Andrés Rodríguez qui avait lui-aussi investigué sur l’histoire politico-militante du Sankt Pauli avait avancé une hypothèse prolétarienne probante sur l’origine des couleurs du club niché dans un grand port industrieux : « L’équipement de St Pauli, où le marron prédomine, imite les vêtements des ouvriers de l’époque, qui étaient le cœur de l’institution depuis ses débuts.»

Un reel d’une chaîne Youtube bien documenté sur le football allemand nous apprend enfin que « les origines des couleurs datent de 1909, année lors de laquelle Amandus Vierth choisit le marron et blanc comme tenues officielles du club, principalement pour des raisons pratiques : les tissus brunâtres étaient alors les moins chers disponibles. Les premiers maillots marron‑blanc furent importés par Ernst August Steinberg, cité comme personnage central dans l’histoire des premières tenues du club.» Depuis la seconde guerre mondiale, le FC Sankt-Pauli a du combattre un autre impensé qui déprécie la couleur marron, surtout en Allemagne : c’était aussi celle des chemises brunes de sinistre mémoire, celle de l’accoutrement des SA de 1925 devenus plus tard les SS du régime nazi. Le FC Sankt Pauli a donc constamment réaffirmé que « ses couleurs marron-blanc ont été adoptées bien avant que le marron ne soit associés au nazisme. » Cette tradition historique du duo chromatique braun-weiss qui découlerait donc initialement d’un choix économique, est devenue emblématique de l’identité du club. Le mariage a priori incongru entre le FC Sankt Pauli et Jack Daniels, sponsor maillot de 1997 à 2000, a paradoxalement abouti à un bel objet gustatif puisque les parements marron de la marque de whisky sur la tunique à dominante blanche exaltaient pour le coup la saveur ambrée de cette liqueur tout en évoquant le brun des fûts de chêne dans lesquels elle avait maturé…