Son vrai nom est Jermaine Bates mais appelez-le Hard in the Paint. Rencontre avec l’homme qui peint sur des maillots à grands coups d’éclairs, lesquelles posent la question suivante: sacrilège de supporter ou génie artistique?

Propos recueillis par Théo Denmat

Tu as dit un jour: “Si cela peut être peint, je trouverai un moyen d’y laisser mon empreinte.” Tu te souviens du premier maillot que tu as peint?

Le tout premier, c’était un maillot extérieur du PSG, saison 2017-2018, tout jaune. J’ai toujours eu beaucoup de maillots chez moi, mais au début je peignais surtout des baskets, des sneakers. Je commençais à m’y ennuyer, d’autant que le milieu en était un peu saturé, on était beaucoup à faire la même chose. Or personne ne peignait des maillots. Il s’est avéré que j’ai commencé avec le PSG, sans véritable direction, pour voir où ça me menait. Ma première pièce a été créée comme ça, je l’ai postée sur mes réseaux, et les réactions ont montré que mon travail rentrait en connexion avec les gens. J’ai compris que c’était plus que “de la peinture sur des vêtements”, mais une vraie symbiose entre ma passion pour l’art et celle pour le foot. J’ai dû en peindre environ 300 à présent, dont une quinzaine que j’ai gardé pour ma collection personnelle. À part ça, je dois avoir entre vingt et trente maillots, rien de trop fou pour l’instant.

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Quelle est ta relation au football ? Il paraît que tu étais un bon joueur en Angleterre.

Plus jeune, le football était littéralement ma vie: je jouais tous les jours et m’entrainais quatre fois par semaine, plus les matchs tous les weekends… C’était plus ou moins tout pour moi. J’ai atteint un niveau plutôt décent avec l’équipe jeunes de Queens Park Ranger, QPR, comme arrière gauche, avant qu’une blessure n’arrête ma potentielle carrière à seize ans. En Angleterre j’ai atteint le plus haut niveau que vous puissiez atteindre en tant que jeune. Mais l’amour du foot ne m’a jamais quitté. J’ai juste voulu trouver d’autres manières d’exprimer ma passion et mon amour du jeu.

En quoi peindre un maillot de foot est-il différent de peindre une toile ou un mur?

Cela fait appel à des choses bien plus personnelles. Les toiles sont faites pour des murs, pour y être accrochées, alors qu’un maillot vit avec la personne qui le porte. Elle peut se mouvoir, jouer au foot avec… Et ainsi le maillot devient une partie de son identité, de ses souvenirs. Ce sont des vêtements mais aussi des œuvres d’art: certains de mes maillots finissent aussi dans des cadres sur des murs. Tout est possible.

Tes maillots se distinguent de par leur pattern particulier, ces “Z”, ou éclairs, que tu mets partout. Pourquoi?

C’est quelque chose qui arrive organiquement, que beaucoup, en effet, qualifient d’éclairs. J’en suis heureux, ça me va, mais ça n’était pas mon intention: c’est juste venu naturellement à mesure que je peignais des maillots, heures après heures, et que je progressais dans mon style. Ça n’était pas planifié: quand je peins, je détermine juste à l’avance où je vais mettre quelque chose, mais c’est aussi un processus très libre, où je suis témoin de ce qui arrive.

Combien de temps te prend une pièce?

Cela dépend de plusieurs choses: la complexité de la pièce, ses composants… Chaque maillot a une matière qui lui est unique. Disons que chaque pièce me prend en général entre deux et quatre jours de travail, en incluant le temps de séchage entre chaque étape. Rien n’est imprimé, c’est uniquement de la peinture. Il n’y a aucune place pour l’erreur.

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Existe-t-il un maillot qui te faisait rêver plus jeune pour son design et qui a pu servir d’inspiration pour ton travail?

Pour moi c’est toute l’ère – qui revient d’ailleurs en ce moment – du Total 90 des années 2000. Je pense au maillot du Brésil champion du monde de 2002, par exemple, très innovant dans sa silhouette. J’ai tout de suite été frappé par l’audace de mettre les numéros sur le devant du maillot, avec ce cercle qui les entoure, quelque chose qui n’avait jamais été vu avant. C’est l’un des premiers ensemble qui a repoussé les limites des standards des maillots traditionnels, surtout pour les équipes nationales qui adoptaient à l’époque des codes très classiques. Ce maillot, c’est le cachet du Nike de l’époque, une période très particulière du foot où non seulement les ensembles étaient beaux, mais qu’en plus ils étaient portés par des idoles. Ronaldinho, Ronaldo… La nostalgie que je ressens en voyant ces maillots du début des années 2000 en font de fait mes préférés.

Quelle a été la pièce la plus difficile à peindre?

Ça n’est pas une question de club, mais, de manière plus générale, de design: un maillot uni représente un challenge beaucoup plus difficile à relever pour moi. Typiquement, le maillot domicile de Liverpool, juste rouge, avec les bandes blanches sur les épaules. J’ai beaucoup plus de mal à y développer mon travail que sur les maillots qui comptent trois couleurs, avec lesquelles je peux jouer.

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C’est pour ça que tes maillots préférés sont ceux du PSG?

Oui! Ça et le fait que je suis un gros fan du PSG. Je reste en premier et avant tout un supporter d’Arsenal, mais être un Gunner et grandir avec les frenchies d’Arsène m’a toujours fait apprécier l’équipe de France, le lien est presque naturel. Thierry Henry est mon joueur préféré au monde, c’est aussi simple que ça (rires). Le football français m’a toujours intéressé, et le PSG est désormais une équipe qui compte dans le football mondial, et encore plus à Londres, où vivent beaucoup d’amateurs de ce que peut sortir le PSG en termes de mode. Quand on se balade dans les rues, on voit beaucoup de maillots et de survêtements du club porté “à la ville”. Le maillot du PSG sur lequel je viens de finir de travailler est d’ailleurs mon préféré ever. Je pense qu’il est assez aligné avec qui j’essaie d’être en tant qu’artiste.

Certaines personnes peuvent considérer un maillot de foot comme un objet sacré, intouchable. Comme si peindre sur une tenue aux couleurs de son club la salissait, d’une façon. Que répondrais-tu à ça?

Je comprends, et je partage même cette idée, en un certain sens: j’ai moi-même dans ma collection des maillots qui me rappellent des souvenirs, et que je ne peindrai jamais. Mais on en revient à la dimension individuelle, et combien les maillots peuvent être porteurs d’émotions, ce qui est précisément la raison pour laquelle je les peins! Parce que je ne change pas ce qu’ils sont, j’ajoute une autre couche à leur histoire, en respectant leur passé et la nostalgie qu’ils suscitent. Beaucoup de gens viennent me voir avec de raisons très solides de vouloir offrir à ce maillot une nouvelle signification et d’ouvrir un nouveau chapître.

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Propos recueillis par Théo Denmat

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