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LES ECHARPES DE FOOT Jacques Vidal, le père de l’écharpe de foot en France
Entretien avec Jacques Vidal, pionnier français de l’écharpe de supporter.
De 1974 à 2002, Jacques Vidal, à la tête de l’entreprise de textile Vidal-Defour basée près de Saint-Etienne, a inondé la France d’écharpes aux couleurs des plus grandes équipes. Aujourd’hui octogénaire, cet homme qui n’a jamais été « très foot » a tout de même largement contribué à populariser l’accessoire le plus foot qui soit, encore pendu aux cous des supporters d’absolument tous les stades.
Comment avez-vous eu l’idée de créer des écharpes dédiées aux supporters de foot ?
À l’époque, j’étais à la tête de l’entreprise de textile familiale Vidal-Defour basée à Saint-Didier-en-Velay, pas très loin de Saint-Étienne. On exportait 40 % de nos produits à l’étranger. Alors une fois par an, j’allais dans les pays qui achetaient nos articles. En 1974, alors que j’étais justement en voyage en Angleterre, je croisais dans la rue des supporters avec des écharpes de foot. Elles ne comportaient pas de logos. C’était simplement des écharpes artisanales tissées par leurs grands-mères ou le tisseur du coin. Il y avait juste les couleurs des équipes. Chez Vidal-Defour, nous avions des métiers Jacquard qui nous permettaient de fabriquer des écharpes pour des couturiers avec n’importe quels motifs ou dessins. Alors même si je n’ai jamais été fan de foot, j’ai vu une occasion de créer des écharpes personnalisées pour les supporters.
Étant basé en Haute-Loire, vous vous êtes tournés tout de suite vers les supporters de l’ASSE…
Oui, je suis allé voir le club des Associées Supporters. À l’époque, il n’y avait pas encore vraiment d’objets dérivés des différentes équipes. Alors ils ont été séduits par l’idée. Mais ils ne voulaient en acheter que 200. Ce n’était pas rentable parce que pour créer un premier modèle, ça coûtait déjà 5 000 francs. Ils ont finalement acheté 500 écharpes. Ce sont les premières que nous avons vendues. Elles avaient le logo de l’ASSE, avec un motif en lignes brisées type « zig zag » et avec écrit « Allez les Verts ». C’était le début de l’épopée du club. Je me souviens d’une photo parue dans le journal quelque temps après avec toute l’équipe qui portait nos écharpes dans les escaliers de l’avion avant un match à Split. Elles leur avaient été offertes par Georges Elbeck, le président des Associés. Après ça, tout le monde a voulu une écharpe et les supporters d’autres villes ont commencé à nous appeler.
Qui ont été vos clients suivants ?
Après Saint-Etienne, ce sont ceux de Marseille qui m’ont appelé. Avant mon rendez-vous avec Jacques Pelissier, président du Club Central des Supporters de l’OM, je me souviens être allé acheter plein de cartes postales de la ville pour lui proposer des idées de dessin. On avait gardé le motif en « zig zag » mais en ajoutant la Bonne Mère et des éléments forts de la ville. Au début, il en a aussi pris 500, puis c’est vite monté à 1000, 2000… Petit à petit, nous avons commencé à travailler avec les supporters d’un peu tous les grands clubs de Ligue 1. Il manquait juste Monaco. J’ai donc envoyé des écharpes de toutes les équipes au Prince en lui proposant de créer celle de Monaco. Quelques semaines plus tard, j’ai décroché un rendez-vous là-bas. Mais ils voulaient des écharpes pour le Cirque de Monte-Carlo (rires). On les a faites. Celles pour le club de foot sont finalement venues plus tard.
Pour créer un premier modèle, ça coûtait déjà 5 000 francs !
Au plus haut, combien d’écharpes vous produisiez ?
Au maximum, nous tournions autour des 500 000 écharpes par an. À un moment, les clubs ont récupéré eux-mêmes le merchandising. Et là, les commandes étaient plus importantes. Au début des années 1990 par exemple, lorsque l’OM tournait bien en Europe, le club m’a commandé trois modèles différents tirés chaque fois 15 000 exemplaires. Six mois plus tard, le directeur m’appelle pour me dire qu’il leur en restait. C’était un peu normal… Pendant six ans, le PSG m’achetait aussi un grand nombre d’écharpes. Ils ont fini par les trouver trop chères donc ils ont commencé à se fournir ailleurs. Mais ils sont rapidement revenus parce que la qualité n’était vraiment pas la même…
Quand est-ce que ce business a commencé à décliner ?
Dans le courant des années 1990. Petit à petit, malgré une qualité moindre, les clubs se sont tournés vers l’Italie, puis vers l’Île Maurice et enfin vers la Chine. De 48 salariés, nous n’étions plus que 12. Le chiffre d’affaires commençait vraiment à baisser. Alors que depuis déjà quelques années, je perdais aussi pied sur mon autre activité d’exportation de produits textiles. En plus, certains grands couturiers rechignaient à travailler avec nous parce que nous étions trop catalogués football. Mais quoiqu’il arrive, l’idée de fabriquer ces écharpes m’a permis de maintenir mon activité bien plus longtemps que prévu et d’arriver sereinement jusqu’à la retraite. Sans ça, j’aurais sans doute dû arrêter avant. En 2002, à 63 ans, j’ai cherché un repreneur, mais personne ne voulait de l’entreprise. Alors j’ai fermé boutique.