Adversaire du Paris Saint-Germain en huitièmes de finale de la Ligue des Champions, la Real Sociedad s’affiche avec trois jeux de maillots originaux pour cette saison 2023-2024. Auteur de ces modèles, le sculpteur basque Iñigo Manterola explique sa création.

Propos recueillis par Antoine Donnarieix

Bonjour Iñigo. Vous êtes né à Orio, dans le Guipuzcoa. Quel est votre attachement à la Real Sociedad ?

Je suis realista depuis la naissance de ma raison, autrement dit à partir de mes quatre ans, quand j’ai reçu mon premier maillot de la Real Sociedad de la part de mes tantes. Après, je ne vais pas mentir sur mon rapport au football. J’aime ce sport, mais je ne suis pas son actualité comme mes amis peuvent le faire dans la vie de tous les jours. Quand je les écoute, je les vois beaucoup plus assidus sur les dernières nouvelles. En revanche, ils ne sont pas plus mordus que moi de la Real Sociedad, nous partageons la même passion de ce côté-là. Depuis tout petit, je vis les évolutions de ce club.

Vous êtes né en 1973. Vous devez avoir quelques souvenirs de la Real Sociedad d’Ormaetxea, double championne d’Espagne en 1981 et 1982, durant votre enfance…

Bien sûr ! J’allais les voir jouer à Atocha, l’ancien stade de la Real Sociedad. Ces années-là sont inoubliables. Je me souviens que la caisse d’épargne de Donostia avait fabriqué des drapeaux pour que tous les habitants de la région puissent l’étendre dans toutes les cuisines de Guipuscoa. Sur ce drapeau, il y avait tous les grands joueurs de l’équipe : Lopez Ufarte, Zamora, Arconada… En fait, cela devenait très difficile de ne pas devenir realista. À cet âge-là, des expériences de vie comme celles-ci te touchent pour la vie entière. Plus tard, il y a aussi la saison où nous luttons pour le titre de champion face au Real Madrid jusqu’à la dernière journée (2002-2003 avec Raynald Denoueix, NDLR). Pour un club aussi modeste que le nôtre, parvenir à réaliser ce type de performance marque l’esprit des fans dont je fais partie.

Et alors, travailler en collaboration avec la Real Sociedad aujourd’hui, cela vous procure quel type d’émotion ?

J’ai fait connaissance avec à peu près tout l’organigramme du club, du président en passant par les chargés de presse ou le community manager. J’étais présent pour la journée de présentation du maillot, nous avons pu partager des photos avec Takefusa Kubo ou Martin Zubimendi. Entrer dans le vestiaire de l’équipe première, c’était… (Il réfléchit.) Dans le Pays basque, nous avons l’habitude de dire « hunkigarri ». Je ne sais pas s’il y a un équivalent français, c’est un mélange d’honneur associé à un accomplissement de vie. Tout cela touche au domaine du rêve devenu réalité.

Partido de LaLiga EA Sports entre Athletic y Real Sociedad. En la imagen, Zubimendi.<br />LaLiga EA Sports match between Athletic and Real Sociedad. In this picture, Zubimendi. Photo by Icon Sport
Partido de LaLiga EA Sports entre Athletic y Real Sociedad. En la imagen, Zubimendi.
LaLiga EA Sports match between Athletic and Real Sociedad. In this picture, Zubimendi. Photo by Icon Sport

Comment cela est devenu possible ?

Au départ, Martín Arguiñano (fils du chef basque Karlos Arguiñano, NDLR) m’invite à Eindhoven pour un match de Ligue Europa de la Real Sociedad, un voyage sponsorisé par la bière Keler avec lequel mon ami fait des affaires. Nous prenons un vol charter avec les joueurs de l’équipe pour nous rendre sur le lieu du match. Lors de la première nuit là-bas, chaque groupe d’invités dîne avec un responsable de la Real Sociedad. Durant le repas, je fais la confidence à la fille assise à côté de moi que je serais enchanté de dessiner le maillot de l’équipe un jour. Je lui explique mon métier dans le détail. Elle travaille pour la Real Sociedad, et me dit qu’il faut en parler avec le président. Le jour du match, je suis installé à une autre table de 5 ou 6 personnes où se trouve Jokin Aperribay et Begoña (Larzabal, directrice commerciale de la Real, NDLR). En fait, je n’ai pas eu besoin de leur parler de cette thématique, ce sont eux qui sont directement venus vers moi. Je les ai sentis très ouverts. Juste avant le match, Aperribay me prend la main et me dit : « Iñigo, tu seras le créateur de notre prochain maillot ! » Voilà, c’était lancé. À la base, la Real Sociedad ne m’a pas contacté spécifiquement pour réaliser ce maillot. Mais à la fin, j’étais en charge de donner le feu vert. Je leur ai montré des maquettes et des prototypes qu’ils ont validés, puis nous nous sommes rendus à Bologne pour fournir notre modèle au siège social de Macron.

Les trois jeux de maillots possèdent des rayures avec torsions pour donner une impression de 3D. Comment avez-vous eu cette idée ?

Durant toutes mes années de création, j’ai imaginé le design rêvé pour le maillot de mon club de cœur. En fait, la progression de mes peintures m’a fait changer de discipline pour commencer à sculpter. Cette évolution vient de l’extraction de mes toiles pour les reproduire grâce au fil de fer. Sur la tôle, j’ai ajouté du volume à mes dessins jusqu’à ce que le fil de fer prenne une importance supérieure au mouvement que je cherchais à retranscrire. Mes premières sculptures étaient des dessins abstraits dans l’espace. C’est le changement de la peinture à la sculpture que j’ai voulu retranscrire dans ces maillots, le passage de la deuxième à la troisième dimension. À la Real Sociedad, nous partageons ces rayures verticales comme l’Atlético de Madrid, l’Athletic Club ou le Real Betis. Chaque saison, la largeur de ses rayures va changer pour des raisons commerciales. Mon idée, c’était de convertir les rayures en un prisme pour donner l’impression de mouvement et volume. C’est principalement cet argument qui a convaincu les dirigeants de la Real Sociedad. L’utilisation du fer dans mon travail leur rappelait aussi le passé industriel du Pays basque, un marqueur d’identité régionale. Enfin, c’est la première fois de l’histoire du club que les trois maillots sont liés entre eux par leur esthétisme. À chaque fois, l’écusson est suspendu dans les airs et la ligne en mouvement se retrouve coupée en deux parties. Avec cet effet visuel, le blason donne l’impression d’être au sommet d’un podium. Ainsi, l’importance donnée à l’écusson est plus marquée car il est érigé en hauteur. Sur les deux autres modèles en bleu marine et blanc, cette idée du prisme en pivot repose sur une seule rayure.

Takefusa Kubo from Real Sociedad F in action during the UEFA Champions League group D football match between SL Benfica and Real Sociedad F at Estadio da Luz. Final Score: SL Benfica 0:1 Real Sociedad F (Photo by Bruno de Carvalho / SOPA Images/Sipa USA) &#8211; Photo by Icon sport
Takefusa Kubo from Real Sociedad F in action during the UEFA Champions League group D football match between SL Benfica and Real Sociedad F at Estadio da Luz. Final Score: SL Benfica 0:1 Real Sociedad F (Photo by Bruno de Carvalho / SOPA Images/Sipa USA) – Photo by Icon sport

En fait, les trois maillots sont bleus et blancs mais avec des tons différents. Quelle marge de manœuvre aviez-vous dans l’élaboration des maillots ?

C’était presque une liberté d’action de A à Z. Bon, il y a toujours certaines règles à respecter comme la place du numéro dans le dos, le nom du joueur, le logo de La Liga ou celui de la Ligue des Champions cette année. Là-dessus, c’est impossible d’intervenir. J’aurais voulu que le col polo et la finition des manches soient blancs pour uniformiser le maillot, mais c’est finalement le noir qui a été retenu à la majorité pour rajouter de l’obscur. Mis à part cela, j’ai pu dessiner ce maillot comme je l’ai souhaité, notamment sans gérer les intérêts des sponsors comme Kutxabank ou Yasuda. Quand je vois le produit final, cela ne gêne pas mon travail artistique et les marques se lisent bien. Je suis vraiment satisfait de ce rendu.

Travailler pour une cause liée au football, est-ce finalement un projet comme un autre ou avez-vous ressenti une dimension artistique différente de celle que vous avez connu auparavant ?

La vérité, c’est que le monde du football est bien éloigné de celui auquel j’appartiens. Nous ne sommes plus des artistes mais des designers. Par le passé, un autre peintre basque appelé Darío Urzaiz avait dessiné le maillot de l’Athletic Club (en 2004-2005, NDLR). En fin de compte, les supporters ont très mal accueilli cette création car cela ne respectait pas les dessins traditionnels de l’Athletic. La presse nationale n’avait pas été tendre non plus. Et pourtant, ce maillot est aujourd’hui extrêmement recherché pour sa rareté. J’ai l’impression que les gens ont fini par valoriser le travail de cet artiste…

Cela vous avait mis une forme de pression ?

À titre personnel, je sais que mon maillot ne plaît pas à tout le monde, et c’est normal ! Certaines personnes m’ont par exemple expliqué qu’elles aiment les couleurs claires. En réalité, ce n’est pas un problème de clarté car le clair et l’obscur participent à la création du mouvement. Ce que ces personnes souhaitent, ce sont des couleurs lisses et plates. D’autres personnes m’ont fait un retour sur le fait qu’il y avait trop de blanc sur des tailles XXL. C’est une donnée que nous ne pouvions pas contrôler car à l’origine, le maillot n’est pas créé pour des tailles aussi grandes. Aussi, l’équipementier Macron a son mot à dire. Cela dit, j’ai la sensation que les critiques ont été bonnes concernant ce maillot. S’il n’avait pas plu, les ventes ne seraient pas aussi hautes. Mais bien entendu, les performances actuelles de l’équipe aident à cela !

Matteo Darmian of F.C. Inter and Umar Sadiq of Real Sociedad during the 6th day of the UEFA Champions League Group D between F.C. Internazionale Milano vs Real Sociedad De Futbol on 12 December 2023 at the San Siro Stadium in Milan, Italy. &#8211; Photo by Icon sport
Matteo Darmian of F.C. Inter and Umar Sadiq of Real Sociedad during the 6th day of the UEFA Champions League Group D between F.C. Internazionale Milano vs Real Sociedad De Futbol on 12 December 2023 at the San Siro Stadium in Milan, Italy. – Photo by Icon sport

 

 

Propos recueillis par Antoine Donnarieix

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