Histoire de maillots
Le jour où le sponsoring-maillot a débarqué en Bundesliga
Quand l’Eintracht Brunswick a débarqué avec le logo de Jägermeister à la place de son blason.
C’était le 24 mars 1973 : à l'occasion d’un match contre Schalke 04, les joueurs de l’Eintracht Brunswick débarquent avec un maillot floqué de l’iconique tête de cerf de la marque de spiritueux Jägermeister. Un joli tour de passe-passe vis-à-vis des instances qui a lancé la généralisation du sponsoring des maillots en championnat d’Allemagne.
On l’oublie parfois, mais la Bundesliga n’existe – sous sa forme actuelle – “que” depuis 1963. Une époque, faut-il également le rappeler, où l’issue de chaque saison était bien plus incertaine qu’aujourd’hui et où le Bayern était loin de régner en maître absolu.
En 1967, par exemple, c’est l’Eintracht Brunswick qui soulève le Meisterschale, son plus grand fait d’armes à ce jour. Quelques années plus tard, en 1973, ce petit club de province relativement anonyme parvient à refaire parler de lui. Pas sur le terrain, mais à travers un certain Günter Mast, qui possède la distillerie où est produite la liqueur Jägermeister.
Si elle est aujourd’hui un incontournable des soirées étudiantes (surtout mixée avec une certaine boisson énergisante) dans les années 1970, le Jäger n’est qu’un schnaps noyé dans la masse de tous les schnaps vendus en Allemagne. Pour tenter de se faire connaître du grand public, Mast a une idée : afficher le logo de sa marque, la célèbre tête de cerf qui orne la bouteille verte caractéristique, sur le maillot de ses poulains. Problème : le règlement l’interdit. Pour l’instant…
En 1967, le Wormatia Worms, petit club de l’Ouest du pays, avait déjà tenté le coup en affichant le nom de l’entreprise d’engins de travaux Caterpillar (ce qui, au passage, avait poussé les supporters adverses à leur donner le surnom de “Bulldozers”) pour renflouer ses caisses, mais l’initiative n’a pas duré plus de trois matchs.
Le Wormatia a donc dû faire une croix sur les 5000 marks (2500 euros) promis et s’est débarrassé des tuniques interdites en les refilant à la section hockey du club.
Pour éviter pareille mésaventure, Günter Mast propose un tour de passe-passe : lors de l’assemblée générale de l’Eintracht, en janvier 1973, ses membres votent pour un changement de blason. En lieu et place du traditionnel lion de Brunswick, on retrouvera le Hubertus Hirsch de Jägermeister, en échange de quoi le généreux sponsor verse 500 000 marks au club, divisés sur les cinq prochaines saisons. Une aubaine, ses finances étant alors plutôt chancelantes.
In 1973, Eintracht Braunschweig became the first Bundesliga team to allow a sponsor on their jersey (Jägermeister). pic.twitter.com/rxUhexa7Io
— SportsPaper (@SportsPaperInfo) May 16, 2018
Pour ne pas perdre complètement la face, la fédération allemande (DFB) impose cependant deux conditions : que le blason n’excède pas 14 centimètres de diamètre – accepté – et que le nom du club apparaisse dessus. Ici, Mast se contentera des initiales pour éviter que le texte ne prenne trop de place sur l’image.
Et c’est ainsi que le 24 mars 1973, après des mois de battage médiatique qui ont fait connaître la marque Jägermeister dans tout le pays, les joueurs de l’Eintracht Brunswick se présentent face à Schalke 04 avec leur nouvel emblème sur la poitrine.
Au-delà du score final (1-1) on retient surtout qu’à partir de ce jour-là, plus rien ne sera jamais comme avant. En octobre de la même année, la DFB autorise officiellement les sponsors sur les maillots, ce que s’empressent d’appliquer quatre clubs : Hambourg, l’Eintracht Francfort, le MSV Duisbourg et le Fortuna Düsseldorf.
Cinq ans plus tard, en 1978, tous les pensionnaires de Bundesliga sont rentrés dans le rang. L’époque des maillots vierges est officiellement révolue. A Brunswick, Günter Mast, qui n’aime toujours pas particulièrement le football en soi mais plutôt son potentiel publicitaire, finit par se faire élire président du club en 1983 avec la promesse d’éponger ses dettes, lesquelles s’élèvent à quelques 6 millions de marks.
Mais évidemment, il exige une contrepartie et non des moindres : que l’Eintracht change carrément de nom et intègre celui de sa marque dans sa dénomination. Étrangement, les membres de l’Assemblée générale acceptent de nouveau.
Après tout, un homme qui a réussi à faire signer la superstar Paul Breitner en provenance du Real Madrid doit forcément savoir ce qu’il fait, surtout lorsque le projet s’accompagne du versement d’un million de marks par an.
Mais cette fois-ci, la lubie ne passe pas auprès des instances. La fédération régionale assure en effet que si le club se rebaptise FTSV Jägermeister, ses équipes de jeunes seront exclues de leur championnat respectif.
Parce qu’il n’est pas si égoïste que cela, Günter Mast jette finalement l’éponge en mars 1986, non sans avoir réussi à quasiment éponger (pour ainsi dire) les dettes de l’Eintracht qui, un an plus tard, change également de sponsor et ce, alors que la Cour de cassation avait fini par invalider la décision de la DFB.
Trop tard, Mast se contentera désormais de lâcher quelques billets à l’équipe de Wolfenbüttel, la petite ville où se situe sa distillerie. À sa mort en 2011, l’homme d’affaires a pu constater que son oeuvre n’a pas été vaine : si Brunswick n’a, depuis, plus jamais joué dans la cour des grands, un consortium autrichien dénommé Red Bull a réussi là où il a échoué : en donnant son nom à une galaxie de clubs dans le monde entier.
Peut-être pas un hasard si les boissons énergisantes que produit ce dernier sont aussi fréquemment associées au Jägermeister.