Fondé en 2015 à Milan, l’AS Velasca est un club de neuvième division italienne qui a placé l’art au cœur de son projet. De passage à Paris, son fondateur - l’artiste franco-italien Wolfgang Natlacen - en a profité pour nous parler des tuniques les plus “particulières” de la Botte.

Propos recueillis par Andrea Chazy, à Paris. Photos : Alessandro Belussi.

Peux-tu nous rappeler comment est né le projet de l’AS Velasca – dont tu es le président – et quelle est l’ambition du club ?

L’AS Velasca est née de déceptions footballistiques, donc de déceptions amoureuses liées au football contemporain. Quand tu es enfant, tu regardes un football qui te fait rêver. Plus tu grandis, plus tu sens qu’il y a en fait surtout un business plan derrière et ça fausse tout. Ça correspond aussi à une époque, en Italie par exemple, il y a longtemps eu les bandiere (les joueurs attachés à un seul et même club, ndlr). Moi, j’étais milanista et mon grand joueur, c’était Andreï Shevchenko. Aujourd’hui, tu as peur de tomber amoureux d’un joueur parce que tu sais qu’il peut partir six mois après. Donc avec les autres sociétaires du Velasca, on s’est défait de ce foot là, on s’est retrouvé et on s’est dit : “Tiens on va créer un club de foot” mais en suivant les règles de l’art. On s’est rendu compte que pour vraiment le faire, il fallait répondre à une question : c’est quoi le foot ? C’est quoi un club de foot ? Il y a évidemment plusieurs réponses possibles à ces questions, mais ça peut être une œuvre d’art ou alors une forme d’art. C’est-à-dire, avoir une narration, une identité visuelle, sonore, des accessoires faits par des artistes, que tout s’imbrique et se parle. Et la pointe de l’iceberg, ce sont les maillots.

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Pourquoi le maillot ?

Parce que c’est la chose la plus visible. La première chose que ton œil voit en général. C’est instinctif, plus que pour s’apercevoir que le drapeau de corner est fait par un artiste, par exemple. Nos maillots sont très particuliers, ils ne sont pas fait pour plaire à la base d’ailleurs.

Sur les maillots, on retrouve des animaux urbains, comme le pigeon

Votre sponsor maillot qui vous suit depuis sept ans maintenant, c’est le Coq Sportif. Comment avez-vous fait pour les faire adhérer à un tel projet ?

Ils ont compris et aiment le projet. Le PDG du Coq est très proche de l’art, du sport et il estime que si les deux sont réunis, ça ouvre un champ de possibles important. C’est vraiment ce qu’il pense lui, c’est pas pour cirer les pompes sinon on n’en serait pas là depuis sept ans. Parce qu’un artiste, une bande d’artistes, c’est dur à gérer pour un équipementier. On doit avoir une certaine liberté. Le Coq Sportif finance tout ce qui est sportif : ils font tout le kit destiné aux joueurs, au staff et aux dirigeants que l’on refuse de commercialiser pour l’instant. Et puis pour la partie destinée aux fans, on limite les ventes à 400 exemplaires (200 maillots domiciles et 200 extérieurs). C’est notre équipementier qui les produit, que l’on s’occupe de vendre et 100% de la recette part dans les caisses du club. Le maillot du Velasca, c’est vraiment un multiple d’art : il a sa propre valeur, liée à l’artiste, au fait que ce soit limité et numéroté. Par exemple, et je ne sais pas si c’est bien d’ailleurs, j’ai retrouvé des maillots du Velasca à 700€ sur des sites car ce sont des pièces rares.

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Parlons en détail des maillots de cette saison. Chaque année, un artiste différent travaille vos tuniques et cette fois, c’est le duo franco-coréen 75070 qui s’y est collé. Pourquoi eux et qu’est-ce qui fait sa particularité ?

Avant de te répondre, je te fais une petite rétrospective. Cela fait neuf ans que le club existe, et ce n’était arrivé qu’une seule fois par le passé, en 2018-2019, qu’on avait eu une telle unicité. C’était lorsque Pascale Marthine Tayou (un célèbre artiste plasticien camerounais, ndlr) avait fait un trou qui n’était jamais au même endroit sur tous les maillots. Chez les pros, je pense notamment à l’Udinese qui a déjà joué un match avec onze maillots différents (en 2017-2018 face à la Lazio, initiative de son sponsor Dacia) pour promouvoir et financer des projets. Nous, cette année, on voulait un maillot encore plus fou que les précédents. Je propose donc cet été à 75070 de s’en charger : on s’est connu il y a assez longtemps et ils ont déjà fait plein de trucs pour nous comme des répliques d’images Panini ou encore les chasubles que l’on a depuis six ans. J’adore leur travail. Récemment, Le Coq Sportif nous a demandé de faire une collection capsule pour célébrer les 40 ans de la victoire de l’Italie en 82 et j’avais embarqué l’un des deux du duo pour le faire, donc c’était évident de leur proposer. Finalement, on trouve la thématique du maillot : elle est liée aux animaux de la ville de Milan ainsi qu’au Velasca. Sur les maillots, on retrouve donc des animaux urbains, comme le pigeon qui est également l’un des oiseaux travaillé par l’un des deux membres de 75070. Tu as aussi une truie, une sorte de sanglier-truie qui est un symbole de milan très peu connu, ou encore le serpent qui est le symbole extrême de la ville que l’Inter met en avant. Ou encore un chien.

Pourquoi le chien ?

Pour le côté urbain, mais surtout parce qu’une année, nous sommes allés jouer à Soweto en Afrique du sud. Chez nous, tous les aspects négatifs, au lieu de les cacher comme le font les grands clubs européens, on les montre et on les transforme. Tout s’était bien passé là-bas jusqu’au jour où l’un de nos joueurs, qui était peut-être xénophobe et qui ne fait plus partie du club aujourd’hui, est complimenté par un local qui lui fait savoir que c’est un “top-dog” (un joueur dominant, ndlr). Sur le coup, il n’a pas compris que c’était un compliment. Il était à fleur de peau, ne parlait pas très bien anglais, il pensait aussi qu’on l’insultait alors que lui venait ici aider, en plus on lui avait piqué un k-way… bref, une succession de mésaventures qui lui a fait péter les plombs. On n’a pas accepté ça, mais on ne le cache pas, on en parle et on se fait donc désormais appeler les top dogs.

Un club de foot peut être une œuvre d’art ou alors une forme d’art.

Qu’est-ce qui rend chaque maillot unique cette année ?

Déjà, j’ai demandé au Coq Sportif le maillot vierge. Avec cette couleur, ce col et les manches. Mais sans le logo du Coq et sans la décoration. C’est nous qui mettons le reste. Chaque maillot est tamponné de façon complètement différente, et derrière, les numéros sont faits au pinceau. Et ça pour les 500 maillots, donc tu peux imaginer le travail. Lorsqu’on a fait la vidéo de présentation, tous les joueurs ont fait leur propre maillot avec les 14 tampons à leur disposition. C’est la première fois qu’ils participent directement à ce qu’ils portent. Pour leur numéro, ils devaient enfiler le maillot, se mettre dos aux artistes pour que ces derniers peignent directement dessus. Certains ont fait des maillots très épurés, d’autres très symétriques, bordéliques… Sur le maillot rouge, on ne voit pas trop la différence parce que l’œil est moins attentif. Mais sur le blanc away putain… J’ai eu tellement peur lors du dernier match que j’ai dit à celui qui avait le maillot le plus chargé de se mettre derrière pour ne pas que l’arbitre lui dise quelque chose !

Pour finir, ce serait quoi l’anecdote la plus folle dans les démarches pour convacinre un artiste de faire vos maillots ?

Pascale-Martine Tayou, c’était fou parce que j’ai cherché cet artiste pendant de longues semaines car je ne trouvais pas son adresse. Tous les artistes qui passent au Velasca, qu’ils soient petits ou grands, on ne passe jamais par leur galerie parce que sinon tu parasites leur marché. Tu peux te dire : « Putain Tayou qui fait un multiple à 44 euros ? C’est bizarre » ou alors quelqu’un pourrait penser que s’il fait ça, il se dévalue. Bref, finalement je trouve le mail de Tayou, je lui écris et trois jours après, je reçois un mail de son assistante – super au passage – qui bossait dans une énorme galerie. Au début, elle me pose des questions… j’avais l’impression de parler à mon banquier : « Bonjour, merci pour l’intérêt que vous portez… nous avons trois questions à vous poser : la première, combien vous payez Pascale-Martine Tayou, la deuxième combien touchera-t-il sur les ventes et la troisième est-ce qu’il peut faire aussi autre chose en plus ? » Au début, ça fait un peu peur je ne te cache pas et je ne savais pas quoi répondre. J’ai appelé ma compagne qui m’a conseillé, et ma réponse, ça a été basiquement : « 0, 0 et bien sûr il peut faire ce qu’il veut ». J’ai reçu le projet de maillot en trois jours après ça, et ça s’est fait. C’est superbe, il avait totalement compris le projet. Et puis il y en a aussi une autre quand Zevs, avec qui je suis très ami, a fait notre maillot en 2016-2017. Lorsqu’on sort son maillot sur le site, je suis à Beaubourg, je visite une exposition. So Foot avait fait un article qui sortait en même temps, et lorsqu’il sort, notification, ting ting ting : les gens achetaient plein de maillots suite à la parution de l’article! Je suis rentré en courant, j’ai dit à ma compagne « je dois filer, je dois enlever les enlever du site internet ! » J’ai réussi à le faire, en sauver 2-3 où on était limite que j’ai réussi à récupérer mais j’avais plus de maillot ! C’était fou. On ne parle pas d’énormes quantités mais à notre échelle, c’était énorme.

Le maillot domicile et le maillot extérieur sont disponibles sur le site du club.

Propos recueillis par Andrea Chazy, à Paris. Photos : Alessandro Belussi.

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