Voici l'histoire du mythique maillot à deux bandes de Johan Cruyff avec les Pays-Bas en 1974.

Par Chérif Ghemmour

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Quand l’équipe des Pays-Bas débarque en Allemagne début juin 1974 pour y disputer la Coupe du monde, Johan Cruyff, héros attendu de ce Mondial, crée immédiatement une sensation retentissante : il refuse de porter le maillot orange appelé à devenir mythique.

Le problème ? Adidas, équipementier de la sélection néerlandaise, fournit le kit complet des joueurs où figurent naturellement les trois bandes de la marque. Sauf que Johan, capitaine de 27 ans, est depuis longtemps sous contrat personnel avec Puma

L’idole de l’Ajax, passée en 1973 au Barça, rebelle et toujours soucieuse de ses intérêts propres, décide donc de la jouer perso et se fait faire un maillot à deux bandes noires sur la tunique orange, histoire de bien montrer son désaccord avec la KNVB (la fédé hollandaise).

Pays-Bas 1974 : l'histoire du maillot à deux bandes de Johan Cruyff

Les représentants d’Adidas s’inclinent face à Cruyff

En 1997, Jacques Hogewoning, président de la KNVB en 1974, n’avait toujours pas digéré ce comportement de diva : « Johan Cruyff s’était mis en travers du contrat de sponsoring Adidas avec son maillot à deux bandes. Pour nous, à la fédé, ça nous compliquait les choses. Alors il a fallu trouver un compromis et on a perdu du temps. Parce qu’à un moment Adidas a dit : ‘Eh, bien Johan Cruyff n’a qu’à pas jouer !’ Et là on a dit : ‘Non, non. Ce n’est pas possible’. Mais d’un autre côté, un contrat est un contrat… Or, Adidas ne voulait pas porter le chapeau si Cruyff était amené à ne pas jouer. Aux Pays-Bas, personne dans la population ne l’aurait accepté. »

Johan CRUYFF - 26.06.1974 - Pays Bas / Argentine - Coupe du Monde 1974 - Gelsenkirchen Park Stadium

Henny Warmenhoven, alors intendant de l’équipe nationale (et directeur général d’Adidas aux Pays-Bas) confirma que les représentants de la marque aux trois bandes préférèrent s’incliner face à Johan Cruyff « à qui on n’impose rien », plutôt que de courir le risque de l’exclure et de subir les foudres des supporters.

Car même si Johan souhaitait ardemment disputer sa première Coupe du monde à la tête d’une des équipes favorites du tournoi, on le savait prêt à un long bras de fer avec Adidas. Car, même avec l’équipe nationale, le Numéro 14 savait se montrer intraitable.

Plusieurs fois, précédemment, il avait zappé des matchs de la sélection pour désaccords avec la KNVB, des histoires de primes ou d’assurances. En 1969, il avait ainsi snobé des matchs qualificatifs importants du Mundial 1970 en se rendant en Italie… afin de commander du stock de chaussures pour son magasin de mode d’Amsterdam !

« Johan a toujours plus pensé à lui qu’à la collectivité »

La KNVB et Adidas cèdent finalement : Cruyff et Puma ont gagné. En 2014, pour l’Equipe, Johan assuma cet acte de singularité : « J’ai refusé de porter maillot Adidas parce que le contrat de l’équipementier, signé au profit de la Fédération, ne prévoyait pas un centime pour les joueurs. Pour protester, je me suis fait fabriquer un maillot, un short et un survêtement à deux bandes au lieu des trois et j’ai joué la compétition comme cela. »

Car on oublie que Johan poussa en effet la défiance jusqu’à porter également deux bandes orange sur son short blanc et deux bandes noires à ses chaussettes orange ! Au deuxième tour, contre le Brésil en maillot bleu nuit, le Hollandais Volant qui avait décidément tout prévu assortira au maillot blanc de son équipe deux bandes personnelles orangées.

Pays-Bas 1974 : l'histoire du maillot à deux bandes de Johan Cruyff

En Allemagne, l’individualisme proverbial de Cruyff avait forcément agacé au sein du groupe. « Johan a toujours plus pensé à lui qu’à la collectivité. C’est comme ça. Il fallait l’accepter tel qu’il était », déplora Jan Jongbloed dans L’Equipe-Magazine. Johan 1er disputera même ce Mondial 74 avec son numéro 14 fétiche, normalement proscrit par le règlement mais finalement autorisé par la Fifa…

Son coéquipier, Robbie Rensenbrink, était également sous contrat avec Puma mais il ne céda pas à la rébellion cruyffienne à deux bandes. Johan et Robbie touchaient un bonus de la part de Puma à chaque match disputé…

Et Cruyff fit des émules

Sans le savoir, Johan Cruyff allait ajouter une touche vestimentaire à sa légende. Car lors de ce Mondial allemand, les Pays-Bas finalistes face à la RFA (2-1) ont laissé jusqu’à aujourd’hui le souvenir éternel de perdants magnifiques sublimés par leur tunique orange, symbole visuel coloré de leur Football Total.

Et avec son brassard tricolore de capitaine de cette équipe fabuleuse, son numéro 14 et son maillot à deux bandes, Johan 1er avait assis pour longtemps aussi son empreinte XXL. Mais le plus incroyable, c’est que cette histoire de maillot Oranje à deux bandes aura des suites

En effet, quatre ans plus tard, lors de la Coupe du monde 1978 en Argentine, que Johan zappa pour raisons personnelles, trois joueurs de la sélection hollandaise qualifiée pour ce Mundial 1978 l’imitèrent. Pour ce tournoi, Adidas était demeuré l’équipementier de l’équipe des Pays-Bas. Mais les frères jumeaux du PSV, René et Willy Van de Kerkhof, titulaires en Oranje, ainsi que l’avant-centre Dick Nanninga, avaient Puma pour sponsor personnel.

Willy van de Kerkhof of Netherlands during the FIFA World Cup Final match between Argentina and Netherlands, at Estadio Monumental, Buenos Aires, Argentina, on 25th June 1978 ( Photo by Michel Piquemal / Onze / Icon Sport )

Avant ce Mundial, René et Willy, rétifs à promouvoir Adidas, exigèrent de porter le kit complet cruyffien à deux bandes sous peine de ne pas se rendre en Argentine. Et les frangins Van de Kerkhof ainsi que leur pote Nanninga (buteur en finale) firent plier Adidas et la KNVD en disputant tout le tournoi en Argentine avec ce jersey deux bandes.

Un véritable as du marketing

L’année suivante, à Barcelone, Johan Cruyff sollicita son ami Emidio Lazzarini, le célèbre designer italien créateur de la mythique Pantofola D’Oro, afin de développer une marque de sportswear avec une gamme de produits fonctionnels et élégants. Ainsi naîtra Cruyff Classics, marque de sports chic avec comme produits d’appel des jolies sneakers… et le fameux maillot à deux bandes 1974 !

Pays-Bas 1974 : l'histoire du maillot à deux bandes de Johan Cruyff

Le futé Johan Cruyff avait donc fait breveter ses deux bandes mythiques en marque déposée que sa société déclina sur toutes sortes de supports (maillots, T-shirt, sweats à capuche, survêts, coupe-vents).

Les divers vêtements Cruyff Classics sont généralement siglés par leur logo personnalisé : dans un hexagone à plat, une lettre C majuscule (comme Cruyff) avec sa barre supérieure cassée côtoie le lion Orange-Nassau de la dynastie régnante des Pays-Bas, brodé en noir sur l’écusson de l’équipe nationale. Le numéro 14 figure parfois également sur les articles. Le C de Cruyff, le numéro 14, le lion national et les deux bandes de 1974 : un strike total pour une griffe commerciale !

Pays-Bas 1974 : l'histoire du maillot à deux bandes de Johan Cruyff

Elle a révélé Johan comme as du marketing, aussi doué que le joueur et l’entraineur de génie qu’il fut. Klaas Nuninga, son ancien coéquipier de l’Ajax qui avait détecté dès les années 60 le sens du business du jeune Johan, capable de capitaliser fortune et gloire sur son talent de footballeur et sur un patronyme qui claque, avait prophétisé : « Cruyff, un nom fort. Et un don de Dieu pour l’utiliser de façon commerciale ». Bien vu…

Par Chérif Ghemmour

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