Pourquoi le maillot blanc du Real Madrid terrifie les adversaires depuis la nuit des temps.

Par Chérif Ghemmour

L’ouragan blanc: les 100 ans du Real Madrid. Lorsque le célèbre journaliste anglais Phil Ball consacra un ouvrage commémorant le centenaire du plus grand club du XXe siècle, son titre fit référence aux tempétueux éléments déchaînés pour évoquer la terreur blanche qui dévaste littéralement ses adversaires.  Des mouchoirs blancs agités des hautes tribunes de Bernabéu à la houle meringuée qui inonde les virages, c’est comme une coulée neigeuse qui déboule en avalanche sur le terrain, quand les vagues incessantes des onze héros en tenue immaculée finissent d’ensevelir leurs rivaux les soirs de grandes victoires.

L’une des plus célèbres remontadas du Real Madrid, contre Mönchengladbach (4-0, le 11 décembre 1985 en C3), avait carrément tourné au film d’épouvante quand, dans la nuit madrilène brouillardeuse, dix ombres blanches avaient terrassé les infortunés Allemands pourtant vainqueurs 5-1 à l’aller. Animés de “l’esprit de Juanito”, présent sur la pelouse, les Madrilènes avaient déferlé tels des fantômes sans visage sur terre et surtout dans les airs. Car depuis toujours, les grands voltigeurs Rial, Santillana, Hugo Sanchez, Valdano, Zamorano, Morientes, Cristiano Ronaldo ou Ramos font véritablement planer au Bernabéu le châtiment spectral de la Mort blanche.

Empruntant la formule à l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, Jorge Valdano lui-même avait repris puis conceptualisé ce syndrome de terreur, de trac absolu: La peur scénique.” Celle qui glace les clubs visiteurs dans l’antre madrilène. Outre la ferveur du public et les assauts des Merengues, cette permanence du blanc établit dans un espace-temps infini (“90 minutes au Bernabéu, c’est très, très long”, rappelait toujours le fameux Juanito à ses rivaux) un dérèglement sensoriel chez l’adversaire, avant son ensevelissement sépulcral final.

Alfredo DI STEFANO, Francisco GENTO, Hector Rial, Miguel MUNOZ and Marcos ALONSO during the match between Real Madrid and Valladolid in Santiago Bernabeu on the 10 April 1955.<br />Photo by Icon Sport
Alfredo DI STEFANO, Francisco GENTO, Hector Rial, Miguel MUNOZ and Marcos ALONSO during the match between Real Madrid and Valladolid in Santiago Bernabeu on the 10 April 1955.
Photo by Icon Sport

Semblable à un fondu au blanc qui, au cinéma, suggère parfois l’idée de la mort, la blancheur madridista s’étend alors comme un linceul sur les équipes vaincues. Parodiant la légende qui raconte que les All Blacks portent le deuil de leurs adversaires, les All Whites du Real feraient ainsi de même, en adoptant par mimétisme involontaire certains rites funèbres asiatiques, où c’est le blanc qui symbolise le deuil…

Les chevaliers blancs de l’Apocalypse

Parmi les études très sérieuses qui se sont penchées sur l’influence de la couleur des maillots de football, une enquête de quatre universitaires anglais parus dans le Journal of Sports Sciences en mai 2008 avait établi que, généralement, en Angleterre, ce sont les clubs jouant en rouge, tels Liverpool, Manchester United, Arsenal, qui avaient connu les succès les plus nombreux depuis une cinquantaine d’années.

Comme il l’est souvent attesté en psychologie humaine, le rouge, surtout très vif, impressionne l’adversaire au plan visuel et investit ceux qui le portent de la force du champion. C’est d’ailleurs afin de terrifier les équipes rivales que le diabolique Bill Shankly fit adopter en 1964 aux footballeurs de Liverpool le désormais célèbre kit rouge de haut en bas qui apporta, en effet, gloire et trophées aux Reds.

Inversement, obligés par le règlement d’affronter le XV de France vêtus de gris, les All Blacks perdirent un peu de leurs superpouvoirs et furent éliminés en quart de finale de la coupe du monde 2007.

Au défi des coloris, le Real Madrid a simplement maintenu la permanence plus que centenaire d’une non-couleur: le blanc. À la différence du rouge ou du bleu, les deux nuances les plus fréquentes du football, le blanc ne déteint jamais. Sa constance illustre la pureté aristocratique du club qui le revêt.

Depuis 1954 et la fin des chaussettes sombres, le kit complet immaculé a imposé lors des cinq premières victoires en coupe d’Europe (1956-1960) une mystique élitiste revendiquée par son mythique président Santiago Bernabéu: “Le maillot du Real Madrid est blanc. Il peut être taché de boue, de sueur et même de sang, mais jamais de honte. Nos titres nous ont apporté notre noblesse.” C’est cette même sacralisation du maillot albâtre que Florentino Pérez a perpétuée implicitement en imaginant son concept des Galactiques. “Galaxie” est tiré du grec galaxias (de gala, lait), renvoyant à la blancheur de la Voie lactée. C’est en associant le Real à une seigneurie toujours triomphante de chevaliers blancs qui traversent les générations, de Di Stéfano à Benzema, que s’est aussi forgée dans l’imaginaire footballistique une fascination en forme d’allégeance pour cette Maison Blanche quasi invincible.

Pourtant favoris de la finale de C1 2022, quand Vinicius a ouvert la marque à l’heure de jeu, les Reds ont été frappés à leur tour du même syndrome soudain de la défaite qui avait atteint avant eux le PSG, Chelsea et Manchester City: la leukophobie, la peur du blanc. Une pathologie mentale obsessionnelle qui condamne les adversaires du Real à devoir agiter, tôt ou tard, un drapeau de cette même couleur…

Cristiano Ronaldo of Real Madrid during the Champions League match between Real Madrid and Paris Saint Germain at Estadio Santiago Bernabeu on February 14, 2018 in Madrid, Spain. (Photo by Dave Winter/Icon Sport)
Cristiano Ronaldo of Real Madrid during the Champions League match between Real Madrid and Paris Saint Germain at Estadio Santiago Bernabeu on February 14, 2018 in Madrid, Spain. (Photo by Dave Winter/Icon Sport)

(Article publié initialement dans le numéro 200 du magazine SO FOOT en octobre 2022.)

Par Chérif Ghemmour

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