Entretien avec Ted Philipakos, l’homme derrière les maillots phénoménaux du Venezia FC et de l’Athens Kallithea FC.

Par Antoinette Lucas / Photos : Kappa

Américain d’origine grecque, né à New York et aujourd’hui installé à Athènes, Ted Philipakos, 42 ans à peine, a eu mille vies : il a d’abord été agent de joueur avant de devenir professeur à l’université de New York, où il enseignait l’étude des marques et du marketing. Il a, ensuite, fondé une agence créative avant  de finalement se concentrer sur l’une de ses passions : le football. Il s’est ainsi investi dans une aventure à la fois sportive et esthétique, d’abord au Venezia FC, qu’il a dirigé lorsqu’il sortait de la faillite et redémarrait en Série D. Puis il s’est consacré à plein temps à l’Athens Kallithea FC, club de deuxième division grecque, dont il est le président et directeur créatif depuis septembre 2021. C’est donc à lui qu’on doit l’immense succès des maillots de ces deux équipes ces dernières saisons.

Comment décririez-vous les deux clubs dont vous avez repensé l’esthétique ?
Athens Kallithea dispose d’un petit stade mais avec une position unique en plein cœur d’Athènes, à seulement deux kilomètres au sud de l’Acropole. Kallithea est un quartier traditionnel avec des valeurs sociales, que l’on peut commencer à comprendre grâce aux graffitis antifascistes et antiracistes qui sont bombés tout autour du stade. Le club a une histoire modeste mais respectable sur laquelle nous pouvions nous appuyer. Je voulais participer à donner une nouvelle approche du football en Grèce et j’ai choisi de le faire à partir d’ici. J’aime le romantisme et le défi que représente le fait de construire quelque chose dans un petit club.

Le point de départ n’est pas de savoir comment concevoir un maillot cool. Le point de départ est : qui sommes-nous ?

Ted Philipakos

Et Venise ?
Venise a une histoire plus longue (le club a été fondé en 1907, ndlr) et un palmarès important, mais ça reste un club relativement petit. Lorsque nous avons accédé à la Série A, nous étions la plus petite ville, avec le plus petit stade et le plus petit budget du championnat. Ça faisait 19 ans que nous n’avions pas atteint ce niveau. Lorsque je suis arrivé, quasiment personne à Venise ne s’intéressait à l’équipe, et presque personne en dehors de Venise ne savait qu’elle existait. Je trouvais ce club vraiment cool et beau, je voulais développer et exprimer ça. Dans mon travail, j’aime jouer avec la dualité, en cherchant à mélanger les dimensions traditionnelles et modernes, internationales et locales de Venise, comme la lagune et la terre ferme.

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Ce travail sur l’image d’un club de foot et ses maillots est une opération délicate…
Un club est plus qu’une simple « marque ». C’est une institution qui, à la base, représente un lieu et une communauté de personnes, souvent porteurs d’une longue histoire, et d’une tradition importante. Il peut être délicat et compliqué d’aborder le rebranding d’un club de football, mais j’ai eu une excellente collaboration avec Mirko Borsche et son équipe, qui ont travaillé avec moi. Nous partageons la même sensibilité et nous nous faisons confiance.

Par quel processus êtes-vous passé ?
Le point de départ n’est pas de savoir comment concevoir un maillot cool. Le point de départ est : qui sommes-nous ? Une fois que l’on a une idée très claire de l’ADN d’un club, tout découle naturellement de là. Les photos (de Chris Kontos, ndlr) nous aident à raconter l’histoire. Elles sont donc importantes. Ca va au-delà du maillot : vous honorez le club lorsque vous apportez du soin aux détails. Par ailleurs, Athens Kallithea et Venezia subissaient tous les deux de profondes transformations, dans leur mission et leurs valeurs, jusqu’à leur esthétique et leur communication. Il était nécessaire de créer une nouvelle identité visuelle pour représenter formellement une nouvelle ère. L’idée était de trouver un équilibre : d’honorer la tradition tout en se tournant vers l’avenir.

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Ça se concrétise comment dans les faits ?
À l’Athens Kallithea, nous avons ajouté « Athènes » à notre nom, tandis que l’année de fondation du club, 1966, a été conservée comme faisant partie intégrante de l’identité. Le nouvel écusson de l’AKFC est un monogramme “AK” stylisé avec cinq points qui font référence à la fusion fondatrice de cinq clubs locaux. Le bleu du club a été actualisé et l’or a été introduit comme couleur complémentaire au bleu et au blanc traditionnels. Chez Venezia, le Lion de Saint-Marc, animal ailé symbole de la ville de Venise, a été maintenu au cœur de la marque, mais sous une forme plus moderne, minimale et épurée, tout en ajoutant une référence subtile à la gondole vénitienne dans l’illustration du « V ». Nous avons également fait passer le lion du blanc à l’or, comme il l’avait été pendant la plus grande partie de l’histoire du club.

Un maillot représente ce qu’un club a été et ce qu’il veut encore être

Ted Philipakos

Quelle est la signification symbolique d’un maillot ?
C’est l’expression d’un héritage remis au goût du jour. Il représente ce qu’un club a été et ce qu’il veut encore être. C’est une célébration non seulement du club, mais aussi des personnes qui le soutiennent et de la nature de leur soutien, cette passion qui animent les supporters et leur désir profond de manifester ce soutien, de porter les couleurs et l’insigne de leur club.

Vous souvenez-vous des premiers maillots de football qui vous ont impressionné enfant ?
Tout ce que je fais remonte à ma relation avec le football dans mon enfance. J’ai 42 ans, j’ai grandi dans les années 90, l’âge d’or du football à bien des égards, y compris en ce qui concerne les styles. Cette époque est fondamentale dans ma vision du jeu et la façon dont il doit être ressenti et perçu. J’aimais beaucoup le football anglais et italien, et l’esthétique de ces championnats, des années 90 au début des années 2000, reste une référence pour moi.

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Vous pensez à quels joueurs ?
Le premier joueur de football qui m’a vraiment fasciné était Eric Cantona. Je suis donc logiquement devenu un fan de Manchester United. Et alors que Cantona terminait sa carrière, mon deuxième joueur préféré a été David Beckham, qui venait de faire son entrée dans l’équipe. Les maillots de Manchester United des années 1990 étaient importants pour moi, en particulier la collection de maillots de la saison 1998/99, au cours de laquelle le club a remporté la Premier League, la FA Cup et la Ligue des champions (et plus précisément les maillots à manches longues). Mais honnêtement, à cette époque, j’ai aimé tellement de maillots en provenance d’Angleterre et d’Italie, qu’il n’y avait pas que Manchester United.

Que vouliez-vous absolument éviter lorsque vous avez créé les maillots ?
J’essaie simplement de rester fidèle à mes goûts, de préserver l’intégrité artistique au détriment des forces commerciales et de ne pas prêter attention aux tendances ou à ce que font les autres clubs.

Grâce à l’esthétique des maillots et à votre direction artistique sur le site du club et les réseaux sociaux, vous avez réussi à attirer un public plus mode ; était-ce votre intention ?
Non, ce n’était pas l’intention spécifique. C’est plus large que cela. Aussi populaire que soit le football, il peut s’agir d’un milieu quelque peu fermé. Pour généraliser, le sport penche vers les hommes, et surtout vers certains profils d’hommes, et tous les autres peuvent être un peu à l’écart. Il faut toujours lutter contre cela, car le football est un bien public. L’objectif le plus important est de briser les stéréotypes ou les barrières traditionnelles et d’élargir l’inclusion. L’esthétique et la communication visuelle peuvent être puissantes, et envoyer des signaux qui attirent l’attention des gens et susciter leur curiosité.

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Ce travail a-t-il porté ses fruits commercialement ?
À Venise, j’ai multiplié les recettes commerciales par quinze depuis l’été 2020. J’ai créé la nouvelle boutique en ligne, et plus de 90 % des ventes se font en dehors de l’Italie. J’ai également ouvert les premières boutiques physiques du club à Venise. À Athènes, j’ai lancé la toute première boutique en ligne du club en septembre 2022, et plus de 90 % des ventes se font en dehors de la Grèce.

Par Antoinette Lucas / Photos : Kappa

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