Une photo de Jules Koundé avec un maillot du Japon sublimé par des broderies de fleurs a récemment jeté un coup de projecteur sur le travail d'une créatrice hyper talentueuse : Diana Al Shammari.

Par Antoinette Lucas / Photos : Diana Al Shammari

Quels sont vos premiers souvenirs liés au football ?

C’est probablement d’avoir volé les maillots de football de mon frère et de les avoir portés à la maison, ou de l’avoir forcé – surtout en pleurant auprès de ma mère – à m’emmener avec lui pour jouer au football avec ses amis. Lorsque jouer dehors s’avérait trop dangereux pour nous, quand nous étions enfants (Diana Al Shammari est né en Irak, lire sa biographie en fin d’article, ndlr), nous regardions des dessins animés à la maison. Captain Tsubasa (Olive et Tom) était mon préféré et, d’une certaine manière, ce manga a été ma porte d’entrée dans le monde du football.

Quelle portée symbolique a un maillot pour vous ?

Mon travail est né de mon amour pour la créativité et de ma volonté d’intégrer le football dans tout ce que je fais. Lorsque j’étais plus jeune, le football me permettait de me distraire du chaos qui m’entourait, que ce soit dans mon enfance pendant la guerre d’Irak de 2003, ou ensuite en tant que réfugiée. Ce qui m’attire dans les maillots de football, c’est le sentiment d’identité qu’ils procurent et le fait de voir un groupe de supporters arborer un même maillot renforce ce sentiment. Si j’ai décidé de les personnaliser et de les embellir, c’est pour montrer qu’au sein d’un groupe, les gens ont aussi leur propre identité et leur personnalité.

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Vous souvenez-vous des premiers maillots qui vous ont impressionnée lorsque vous étiez une jeune fille ?

J’ai grandi en idolâtrant Zinédine Zidane et je le considère toujours comme le plus grand footballeur de tous les temps. Quand j’étais plus jeune, je regardais beaucoup de temps forts et de vieux matchs sur Youtube et j’ai toujours adoré le maillot de la France de 1998. C’est d’ailleurs le premier maillot que j’ai acheté des années plus tard avec l’argent que j’avais économisé.

Ce qui m’attire dans les maillots de football, c’est le sentiment d’identité qu’ils procurent

Diana Al Shammari

Comment avez-vous commencé à travailler sur des maillots ?

J’ai débuté mes travaux de broderie en 2017 et j’ai commencé à les vendre parce qu’il y avait une forte demande de la part des gens autour de moi en 2018. Mon intérêt pour la broderie a commencé comme un hobby. J’ai toujours pensé que la broderie en tant que forme d’art était très fascinante, alors j’ai voulu l’essayer et transformer mes maillots de football.

Quel est votre processus de création ?

Il diffère pour chaque projet, mais il implique généralement de nombreuses recherches sur le maillot et le pays d’où il provient. Ensuite, je me documente sur les fleurs traditionnelles et les plus populaires de la région. Ensuite, je crée un moodboard qui comprend les fleurs spécifiques et les éléments de design que je veux représenter, ainsi que la palette de couleurs. Ensuite, je crée le motif et un certain nombre de maquettes avec différentes couleurs qui, selon moi, s’harmonisent avec la chemise dans son ensemble. Une fois que c’est fait et que j’ai décidé du motif final et de la palette chromatique, je commence à transférer le motif sur la chemise et à le broder. Il m’arrive parfois de changer d’avis au cours du processus et d’ajouter ou de supprimer quelques éléments du motif qui ne me semblent pas aller dans le sens de la vision d’ensemble que j’ai de la pièce. Mais ça dépend vraiment de chaque pièce et mon processus change en fonction de l’ampleur du motif et de l’objectif que je me suis fixé.

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Pourquoi les fleurs et les broderies ? Est-ce que c’est lié à votre culture familiale ?

Je trouve les fleurs magnifiques. Chaque pays possède une flore et une faune indigènes qui reflètent la région et qui sont porteuses de beaucoup d’histoire et de traditions. Mon travail est connu pour sa signature florale et ses éléments de design naturels qui contrastent avec l’athlétisme du football. Mon objectif est d’ajouter des embellissements qui rehaussent les maillots de football et de créer des pièces artistiques uniques qui peuvent être portées à tout moment.

Que voulez-vous absolument éviter lorsque vous créez ?

J’essaie toujours de faire des recherches approfondies sur chaque pièce et d’éviter les erreurs lorsqu’il s’agit d’ajouter des fleurs qui n’appartiennent pas à une région spécifique. Faire attention à chaque petit détail peut être fastidieux, mais c’est très important. Parce que le maillot est l’élément le plus important pour un club de football. Il est le symbole des supporters qu’il représente, de leur image et de leur culture.

Vous avez pu observer à quel point le football inspire la culture bien au-delà des sphères du sport…

Le football, la mode et la culture se rencontrent de diverses manières, et s’inspirent mutuellement. Les maillots, l’influence des célébrités, les collections de mode, la culture des supporters et les grands événements contribuent tous à la fusion de ces domaines. D’innombrables marques ont fait référence au football ces dernières années, de Balenciaga à Patta. Certaines grandes marques de mode, comme Stella McCartney, Palace et Moncler, ont même travaillé directement avec des équipes de football de première division. Le lien entre le football et la mode reflète l’impact plus large du sport sur la culture populaire et la façon dont la mode devient un moyen d’exprimer son amour du football et son identité culturelle.

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Avez-vous déjà travaillé à plus grande échelle ?

L’année dernière, j’ai sorti une collection de 50 pièces en collaboration avec Nike NYC, qui a été présentée et vendue à la Maison de l’innovation à New York. C’est l’un des projets les plus intenses et les plus satisfaisants que j’ai vécu sur le plan personnel. Ca m’a appris beaucoup de choses précieuses sur moi-même et sur le processus de création.

Jules Koundé s’est affiché avec l’une de vos créations. Comment cela a été possible et quel impact cela a eu sur votre marque ?

Voir Jules Koundé porter ma création était surréaliste et vraiment cool. Il l’a commandé directement sur mon site web, comme n’importe quel client. Je ne savais même pas que c’était lui qui l’avait commandé, je pensais que c’était quelqu’un d’autre avec le même nom (rires). Il a accidentellement indiqué une mauvaise adresse lorsque je lui ai envoyé le maillot et il m’a été renvoyé par les douanes. Après l’avoir contacté par e-mail pour lui demander la bonne adresse, j’ai pu lui renvoyer la pièce. Le déclic s’est produit lorsque j’ai vu toutes les photos et vidéos de lui portant le maillot avant l’un de ses matchs. Le fait qu’il porte un de mes maillots a eu un fort impact bien sûr sur mon travail et l’a fait connaître à un grand nombre de personnes dans le monde entier.

"Jules Koundé a commandé directement sur mon site, comme n'importe qui"

Comment vous projetez-vous dans cinq ans ?

Je me vois travailler avec plus de marques et de clubs de football, organiser plus d’ateliers de broderie, inspirer les gens pour qu’ils s’expriment en utilisant cet artisanat et contribuer à la croissance de l’influence du football sur la mode et la culture.

Chaque pays possède une flore et une faune indigènes qui reflètent la région et qui sont porteuses de beaucoup d’histoire et de traditions

Diana Al Shammari

Quelle équipe soutenez-vous ?

Je soutiens un petit club allemand, très peu connu, qui s’appelle le Bayern Munich. Je ne sais pas si beaucoup de gens en ont entendu parler, haha.

Quelle est la fourchette de prix de vos créations ?

Le prix de mes travaux de broderie sur mesure varie entre 140 et 250 livres sterling (entre 162 euros et 292 euros).

Qui aimeriez-vous voir porter l’un de vos maillots ?

Zizou ! Ce serait un rêve…

"Jules Koundé a commandé directement sur mon site, comme n'importe qui"
"Jules Koundé a commandé directement sur mon site, comme n'importe qui"
"Jules Koundé a commandé directement sur mon site, comme n'importe qui"
"Jules Koundé a commandé directement sur mon site, comme n'importe qui"

Biographie : qui est Diana Al Shammari ?

Née à Bagdad, en Irak, dans les années 1990, Diana Al Shammari, la créatrice de The football Gal, a trouvé dans le football un refuge joyeux. Le ballon rond, celui du petit écran et des pistes de terre battue, ne l’a plus jamais quitté. Quand sa famille a fui la guerre pour s’installer en Egypte en 2005, le foot l’a encore accompagnée, comme un inséparable camarade : celui des matchs à la télévision, des exploits sportifs de son frère et de sa bande, des couleurs des équipes et du style vestimentaire des joueurs. La jeune fille a poursuivi sa route avec ses parents, en quête de stabilité dans un monde fragmenté.

Les Al Shammari ont finalement déménagé aux Etats-Unis en 2010 où ils se sont installés durablement. Diana, elle, a encore tracé sa route et est repartie neuf ans plus tard vers l’Europe. Elle a choisi de poser ses bagages pleines de maillots dans l’une des grandes patries du football : à Londres, en Angleterre. Si la jeune femme a certes connu dans le passé des “moments chaotiques”, “parce que je vivais en plein guerre et que je ne me sentais pas en sécurité”, dit-elle, le football a toujours été là, comme un phare dans la nuit. Le sport a été le cadre de son imaginaire, et le premier territoire de sa créativité.

Diana Al Shammari a commencé à broder sur des maillots de foot et ne s’est plus jamais arrêtée, aidée par une communauté acquise sur les réseaux sociaux qui l’a poussée à développer son champ d’action.

Ses références sont issues de la sphère mode (les fleurs de Dolce & Gabbana ont marqué en partie son goût des motifs), de la rue et des terrains. De la faune et de la flore aussi, celles des villes et des pays qui inscrivent fièrement leur nom sur leurs maillots. A l’ère des collaborations, Diana Al Shammari, 28 ans, brode si bien que son travail a été repéré par des équipes, des marques et des champions en quête de sincérité et de beauté. Le Français Jules Koundé a ainsi été vu à Barcelone portant le maillot rose et vert de l’équipe du Japon dessiné par Nigo en 2022 et rebrodé par The football Gal un an plus tard. A l’avant, elle a tissé des Sakura ou fleurs de cerisier, des camélias et des lys, à l’arrière, elle a ajouté des sashiko, motifs géométriques typiquement japonais (210 livres la pièce sur son site).

Elle a créé des lignes resserrées pour Nike, Adidas et Classic Football Shirts et réalisé des pièces uniques pour Joe Jonas. En 2021, Puma lui a demandé de fleurir les maillots de la squadra Azzura. Diana a produit une série inspirée de la Renaissance italienne, désormais uniquement disponible sur le second marché…

 

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Par Antoinette Lucas / Photos : Diana Al Shammari

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