Mode - Blokecore
Depuis quand porte-t-on des maillots de foot dans la vie quotidienne ?

Complétant le lifestyle du sportswear, le port du maillot de football est aujourd’hui totalement banalisé, unisexe et familial. Une drôle d’évolution quasi sociétale quand on se souvient de la méchante réputation de supporter taré qu’il suscitait avant les années 2000…
Prenez deux photos de supporters de l’Argentine. En 1978, au Monumental de Buenos Aires lors de la finale victorieuse de son Mundial, il n’y a quasiment aucun maillot albiceleste dans la foule. Lors de la Coupe du monde 2022 remportée par la bande à Messi au Qatar, c’est TOUTE l’Argentine qui porte un maillot ciel-et-blanc : hommes et femmes, jeunes et vieux, garçons et filles, politiciens, pompiers, infirmières… et même les bébés !
Le 31 mai dernier, le jour du sacre européen du PSG, c’est une floraison extraordinaire de tuniques du club de toutes les époques (RTL, Opel, Fly Emirates, Qatar Airways), authentiques ou réplicas, qui a révélé l’énormité et l’ancienneté de la passion supporter parisienne… La mode maillot s’est généralisée, atteignant même une mixité fille-garçon et une extension familiale inouïe (père-mère-enfants) de tuniques diverses. Et pourtant… La banalisation du port de maillot de foot dans l’espace public est un phénomène récent. Jusqu’aux années 70, en porter n’est pas dans les mœurs, même dans les stades anglais où on supporte plutôt les siens avec des écharpes. En France, l’Ajax puis Saint-Etienne font naître des envies de leurs tuniques. Sauf qu’elles coûtent cher, trouvables qu’en taille adulte et qu’il faut les commander à une époque où les chaînes de production en débitent peu. Et puis, le supporter de foot cristallise toutes les abominations : beauferie, alcoolisme et violence. On se cache pour lire L’Equipe qu’on dissimule derrière Playboy ! Dans les années 80, même ostracisme : le film À mort l’arbitre (1984) a succédé à Coup de Tête (1979) et avec la tragédie du Heysel et le hooliganisme naissant, porter des maillots de foot, c’est no way ! Même si l’Euro 1988 titille à la vue des tuniques stylées des Pays-Bas et de la RFA : « Ils ont lancé le streetwear, la mode des maillots de football », avance le collectionneur anglais Neal Heard dans The Guardian. Les années 90 enclenchent d’abord un frétillement…
Go Sport ouvre un rayon dédié aux quelques maillots de clubs étrangers au moment où, en Angleterre, le rock anglais va accélérer les choses. Il y avait bien eu Rod Stewart et Bob Marley qui portaient des jerseys à la ville comme à la scène. Mais les frangins Gallagher d’Oasis posent en 1994 en Manchester City et Damon Albarn de Blur s’exhibe en Chelsea ! La hype décolle… Lors de la finale de FA Cup 1996, Liverpool-MU, on entrevoit de-ci, de-là quelques maillots même si on est très loin de la marée rouge textile scouser de la finale de C1 2005 à Istanbul… En France, seul le regretté Didier Roustan, amoureux des belles camisetas, ose le maillot au quotidien, tel celui du Cameroun au Mondial US 94. Et puis, tout bascule avec France 1998. Lors de l’apothéose du 12 juillet, Jacques Chirac et son N°23, Thierry Roland & Jean-Michel Larqué s’exhibent sans complexe en bleu Adidas : on peut désormais assumer d’être supporter de foot ! Porter dans l’espace public le N°10 floqué Zidane au dos devient in, presqu’un must… Un intellectuel comme Pascal Boniface ou un comédien comme Francis Huster échappent à la vindicte qui les aurait autrefois conduits au lynchage…
D’autres phénomènes vont amplifier la hype. Avec l’Arrêt Bosman, on suit nos héros français à l’étranger, tels les Frenchies d’Arsenal (boom des jerseys des Gunners) ou Zidane au Real (le Siemens blanc avec N°5 noir). Au moment du Mondial 2002, l’explosion de la contrefaçon, venue notamment de Thaïlande, inonde l’Europe de réplicas bon marché et d’assez bonne qualité. Grâce à l’informatique domestique, la vente par correspondance sur Internet régale toutes les envies. Les diasporas agissent aussi comme facteur multiplicateur : les jeunes garçons et filles « français binationaux » du Maghreb et d’Afrique subsaharienne célèbrent fièrement leur double identité lors de la CAN. Le phénomène des Galactiques du Real Madrid avait, lui, institué les ventes de maillots comme enjeu majeur des nouveaux transferts, remboursés en bonne partie par les ventes record de tuniques merengue. En 2018, lors du passage de CR7 du Real à la Juve, le club italien avait enregistré des ventes de 520 000 jerseys en 24 heures. On supporte son club, mais on suit aussi ses idoles : c’est l’effet Footix qui pousse les non-initiés à endosser l’étoffe des héros (Messi, Zlatan, CR7), sans une pensée pour les employés sous-payés du sud-est asiatique qui la fabrique…
Depuis la fin des années 2000, un merchandising efficace et rationalisé subvient aux désirs de tous et de toutes. Le Barça de l’ère Messi (2003-2021) a sorti pas moins de 50 modèles différents ! Et les fans de par le monde achètent : le sentiment d’appartenir à la grande communauté blaugrana (ou madridista, ou nerazzurra), quoi de plus exaltant que de l’afficher au quotidien ? La mode maillots, liée ou non à culture supporter, est donc entrée dans les mœurs. Elégants, faciles à porter, fonctionnels et pas seulement pour la pratique du sport. Le modèle occidental jeans/t-shirt/baskets s’était généralisé sur toute la planète depuis longtemps, et c’est juste le maillot de foot qui a remplacé le t-shirt, quoi ! Des lycéennes portent du Bayern, du Chelsea, de l’Inter sans même être fans : « La nouvelle génération ne porte pas forcément un maillot parce que c’est son équipe », souligne justement Neal Heard. On se marrie football, on se fait enterrer football. On transmet football aussi : autrefois, on offrait en cadeaux aux enfants un ballon ou une paire de crampons. Aujourd’hui, c’est le modèle PSG 2025, bleu aux motifs d’ailes, qui met des étoiles dans les yeux des mômes qui, plus tard, lègueront à leur tour l’amour de leurs couleurs à leurs futurs gamins…
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